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Humour noir pour cheveux blancs

Youth, sarcasme mélancolique sur la vieillesse, au Cinéma du Parc. 

Gianni Forito

En compétition officielle pour la palme d’or du Festival de Cannes en mai dernier, Youth, réalisé par Paolo Sorrentino, est actuellement en salle au Cinéma du Parc. Le réalisateur italien dépeint dans ce film doux-amer les tribulations de deux artistes octogénaires en fin de vie.

Deux amis de longue date se retrouvent pour des vacances dans un hôtel de luxe au milieu des Alpes. Fred est un ancien compositeur et chef d’orchestre à la retraite, Mick un scénariste peaufinant le script de son prochain film-testament. Fred ne rêve que d’anonymat et de tranquillité, Mick n’aspire qu’à conserver sa jeunesse par le travail. L’un assume son décalage croissant avec son époque, l’autre s’entoure d’assistants trentenaires afin d’oublier son âge. Leur temps se partage entre promenades dans la nature, massages, bains dans la piscine de l’hôtel et prise de conscience mélancolique quant à la proximité de leur mort. « À mon âge, la forme est une perte de temps », professe ainsi l’un des personnages principaux. 

Gianni Forito

Le dernier film de Sorrentino, La Grande Beauté, abordait déjà avec beaucoup de cynisme les thèmes de l’ennui, du temps qui passe et de la solitude. Après le fêtard romain mélancolique, Sorrentino s’attarde désormais sur le sort d’octogénaires désœuvrés qui ont pour seule perspective le luxe impersonnel d’un hôtel suisse. Si le regard désillusionné de Sorrentino peut s’avérer moqueur, il demeure cependant toujours empathique. Ses personnages et leurs discours tombent parfois dans la caricature, mais n’en sont pas moins réellement touchants. La vision désabusée du réalisateur est sauvée par son sens extraordinaire de l’ironie et souligne l’absurdité du monde qu’il décrit avec une cruauté jubilatoire. 

« Si le regard désillusionné de Sorrentino peut s’avérer moqueur, il demeure cependant toujours empathique »

On peut cependant reprocher au nouveau film de Sorrentino son passéisme et sa description quelque peu binaire des écarts générationnels. L’alternance entre discours sur la déchéance physique et images de paysages alpins de Youth divise ainsi les critiques. Le Devoir salue une fable poétique à la beauté acerbe, Le Monde déplore une réflexion naïve et rebattue sur la vieillesse. « Je fais un cinéma qui ne plaît pas à tout le monde », expliquait le réalisateur italien. Le film se distingue en effet par le regard singulier de Sorrentino sur le monde contemporain, certes moralisateur mais néanmoins profondément sincère. Si les discours désillusionnés de Sorrentino sur le temps restent conventionnels, il dresse néanmoins un portrait troublant de la vieillesse, porté par des personnages extrêmement attendrissants. 

L’un des aspects les plus remarquables du film reste la performance de ses acteurs. Harvey Keitel (Mick) et Michael Caine (Fred), dans les deux rôles principaux, forment un duo étonnant, incarnant leur personnage avec beaucoup de subtilité et de tendresse. Les personnages secondaires sont construits avec attention, incarnés avec talent par Rachel Weisz, Paul Dano ou encore Jane Fonda, dans le rôle d’une actrice victime, elle aussi, du passage du temps. Jeunes, beaux, vieux, rêveurs ou fatigués, les personnages du film enfermés dans leur prison dorée sont autant de prismes nuançant la réflexion de Sorrentino sur le déclin physique. Sorrentino s’attache tout particulièrement à filmer les corps de ses personnages, qui se révèlent sous sa caméra matières fragiles et périssables.   

Entre mélancolie et optimisme, Youth adopte un regard intéressant et original sur la vieillesse. Le cynisme joyeux de Sorrentino teinte son propos d’une poésie qui lui est propre. Cruel tout en conservant sa tendresse, Sorrentino parvient à filmer la vieillesse et l’ennui sans jamais être monotone. 


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