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Un architecte utopiste

Le siècle de Le Corbusier, en avant-première nord-américaine du FIFA.

Philomène Dévé

Le 10 février dernier, le Centre Canadien d’Architecture de Montréal a accueilli, en avant-première, la projection du film Le siècle de Le Corbusier qui sera présenté lors de la 34e édition du FIFA (Festival International du Film sur l’Art). Ce documentaire de Juliette Cazanave présente une rétrospective sur l’architecte Charles-Edouard Jeanneret, plus connu sous le nom de « Le Corbusier », pour célébrer les cinquante ans de sa mort.  Dans un air de poésie, Miss Cazanave organise le film autour des pensées de celui qui était aussi urbaniste, décorateur, peintre, sculpteur et souligne la modernité de ses idées. Les premières images du film plongent le spectateur dans l’univers calme et reposant du Sud de la France, paysage dans lequel Le Corbusier passera ses derniers jours, dans sa cabane.

Cette collection d’archives pourrait être un complément, à l’exposition du Centre Georges Pompidou de Paris présentée entre avril et août 2015. On en apprend plus sur les pensées personnelles de l’architecte et sur ses voyages autour du monde : Brésil, Inde, États-Unis, Russie… 

Philomène Dévé

C’est la dimension internationale de son œuvre qui interpelle. Cazanave nous montre les influences de Le Corbusier à travers des images filmées par l’architecte lui-même : nous voyons à travers l’œil de l’artiste et ça donne envie de le rejoindre.

Les images du documentaire sont extraordinaires mais on regrette de n’en savoir pas plus sur sa carrière artistique, qui constitue pourtant la majeure partie de sa vie. Basé essentiellement sur ses travaux en tant qu’architecte, le documentaire ne fait que mentionner brièvement les qualités de Le Corbusier en tant que peintre ou sculpteur. Et pourtant, c’est son œil artistique qui lui permet de créer des plans harmonieux et déconstruits. Son talent de construction et de déconstruction le mène même à être considéré, avec le peintre français Amédée Ozenfant, comme l’un des théoriciens du purisme : un mouvement post-cubiste basé sur la représentation d’objets du quotidien.

« Le Corbusier est un trésor mondial et intemporel de l’urbanisation »

L’œil si polyvalent de  Le Corbusier participe à son génie de l’urbanisation. Le documentaire nous fait comprendre l’importance de l’harmonie entre nature et bitume dans son travail. Ce n’est qu’en voyant les plans que l’on comprend l’étendue de son intelligence : ses études nous rappellent de nombreuses constructions que l’on considère encore inventives de nos jours, comme la restauration du musée du Quai Branly à Paris. Le Corbusier est un trésor mondial et intemporel de l’urbanisation.

Cependant, c’est avec un peu trop d’idéalisme que Cazanave présente Le Corbusier comme un architecte de la guerre qui ne serait pourtant en aucun cas lié à la politique. On peut voir dans cette représentation une certaine naïveté. En effet,  on ne comprend pas comment un idéaliste de la société, qui croit à des villes unifiées autour de barres d’immeubles où tout le monde cohabite, ne soit pas passé par la case communisme ou fascisme. L’urbanisme, c’est compliqué et c’est politique. L’idée d’urbanisme apparait au milieu du 19e siècle, avec par exemple Haussmann qui reconstruit la ville de Paris, où la stratification sociale dans ce modèle était bien prise en compte (pensez aux vieilles chambres de bonnes que nos amis étudiants français habitent désormais). Donc quand Cazanave souligne, au moins deux fois dans le film, que Le Corbusier n’était pas politique, on fait la moue.

Malgré quelques choix douteux, le documentaire n’en reste pas moins passionnant. On ressort la tête légère avec des pensées couleur blanche et pastelle, mais aussi avec le regret de ne pas occuper une de ses créations et la bonne vieille nostalgie de ces créations pas si vintage que ça. Bref, on aimerait être Le Corbusier. En 52 minutes, Cazanave peint tout de même avec succès le portrait d’un penseur,  d’un architecte artiste et d’un artiste architecte.


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