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McGill Inc.?

Éditorial.

Mahaut Engérant

Depuis le 2 février, plusieurs journaux québécois, dont La Presse et Le Soleil, ont réagi avec inquiétude au sujet d’une proposition de réforme du système de financement des universités de la province : augmenter les frais de scolarité des étudiants étrangers afin « d’éponger » de potentielles compressions budgétaires. Le Délit s’alarme aussi. 

Aujourd’hui (comme illustré ci-dessous), les étudiants étrangers de McGill paient des frais de scolarité d’environ 15 700$ par an. Ceux-ci sont divisés en trois parties : 2290$ de frais communs à tous les étudiants de l’Université, rentrant dans les recettes de McGill ; un supplément « spécial » étudiants étrangers de 12 200$, dont le gouvernement québécois fixe le montant et tire profit ; et un frais supplémentaire dont disposent les universités, plafonné à 10%. La réforme potentielle permettrait aux universités de dépasser ce plafond de 15% et d’augmenter les frais des étudiants étrangers — et donc les recettes qu’elles en tirent— de 25%. 

Comme Olivier Marcil, v.-p. aux communications et affaires externes, l’a réaffirmé lors d’un entretien exclusif avec Le Délit : cette mesure pour laquelle McGill plaide depuis plusieurs années n’est encore qu’à l’état de rumeur — le Québec n’ayant pas encore annoncé de décision officielle. Une « rumeur » et « proposition de longue date » qui fait beaucoup jaser ces derniers jours. Suite à une récente réunion des recteurs des universités québécoises et des représentants du gouvernement, l’annonce de nouvelles coupures budgétaires concernant l’Éducation pour 2016–2017 était sur toutes les bouches. Dans cette optique, l’augmentation des frais de scolarité des étrangers apparaîtrait comme solution compensatoire aux nouvelles contraintes budgétaires imposées aux universités. 

Mahaut Engérant

Ce compromis laisserait sur le carreau le seul intéressé, c’est-à-dire l’étudiant. Non seulement celui-ci serait indirectement touché par les coupes budgétaires gouvernementales, mais dans le cas de l’étudiant étranger, son accessibilité à l’éducation supérieure s’en verrait réduite. Il y a quelque chose d’amer et de cynique dans cette mesure en projet, c’est que nul ne se sentira réellement concerné. Certes, fidèle à son poste, l’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante, ndlr) est montée au créneau pour condamner d’avance la possible hausse. Mais aucun étudiant d’ici ne haussera le ton, son intérêt personnel n’étant pas en jeu. Quels étudiants étrangers, dont plus de 40% sont à McGill et Concordia, prendront alors des moyens d’actions pour se faire entendre sur le sujet ? Aucun. Tout comme pour les étudiants français l’an passé, une facture plus salée ne raccourcira pas la liste d’inscrits de ces universités. Les portefeuilles parentaux ne jouent pas l’indignation.

Pourquoi reproduire au Québec le schéma des universités américaines où le diplôme prestigieux s’accompagne forcément de frais exorbitants ? « McGill n’est pas une institution pour faire du profit » répond Marcil, « vous prenez pour acquis que nous allons nous comporter comme une entreprise privée ! » Laissons McGill nous prouver le contraire, en ne cédant point à l’exploitation d’une demande quasi inélastique. 

L’Université promet de faire du lobby pour un système de bourses ouvertes aux étudiants étrangers au niveau provincial, ainsi qu’un système plus aidant au niveau universitaire. Déréguler pour réinvestir. Puisque tout ceci est hypothétique, nous ne pouvons encore juger l’application de telles promesses. Mais pourquoi guérir par des bourses un mal qui pourrait être endigué à la racine, c’est-à-dire au niveau des frais de scolarité ? À cheval entre la logique d’entreprise et celle d’un apprentissage à la portée de tous, McGill semble hésitante à trancher le nœud gordien. D’aucuns diraient qu’elle a déjà fait son choix…


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