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HONY humanise les prisons

Servir la santé mentale pour prévenir les crimes ?

Luce Engérant

Cette semaine, Brandon Stanton, — photographe et créateur du célèbre projet Humans of New York- — a interrompu ses sujets citadins habituels et s’est faufilé derrière les barreaux de cinq prisons du Nord-Est des États-Unis. Pour encourager les personnes incarcérées à dévoiler leur histoire et leur ressenti, il a utilisé ce qui ne peut être que des pouvoirs magiques. Il a ainsi recueilli des témoignages variés, qui ont en commun une honnêteté et une intimité qui paraissent presque être en décalage, venant d’un groupe qu’il est plus facile d’ignorer et dont l’individualité et les émotions sont souvent noyées sous l’image des crimes qu’ils ont commis. Parmi ces détenus, l’histoire la plus courante est celle de ceux qui ont grandi dans des situations précaires et pour qui la vente de drogues est apparue comme seule solution pour échapper à la pauvreté. Un témoignage se démarque cependant des autres, tragique et indicateur d’un problème inhérent au système pénal. C’est celui d’une femme : abusée sexuellement dans son enfance, ignorée par ses proches, elle commence à entendre des voix. Jeune adulte, elle suit les ordres de ces voix, prend la vie de sa voisine et de la fille de cette dernière, s’éclipse en Jamaïque, et décide de se rendre à la police deux ans plus tard.

Luce Engérant

La prison, réponse à tout ?

Les crimes commis par cette femme sont injustes, atroces et irréversibles, et il semble naturel qu’elle en paie les conséquences. Pour autant, lorsque la maladie mentale entre en jeu — en particulier une maladie comme la schizophrénie qui engendre des épisodes psychotiques — peut-on choisir de l’ignorer sous prétexte que la personne a commis un crime ? Ce questionnement s’applique autant au système pénal américain qu’à son équivalent canadien. Selon une étude de Johann H. Brink, professeur de psychiatrie à l’Université de Colombie-Britannique, près de 32% des détenus souffrent d’un trouble de la santé mentale. Le Service correctionnel du Canada (SCC) affirme faire passer chaque délinquant ou criminel par un processus de dépistage à leur arrivée et offrir des soins de santé mentale. 

Plusieurs questions demeurent. Ces soins sont-ils suffisants ? Plus important encore : ces personnes seraient-elles derrières des barreaux si elles avaient eu accès à des soins avant de commettre un crime ? Selon le ministère de la Sécurité publique du Canada, en 2013, un détenu fédéral au Canada coûte en moyenne 117 788 dollars par an au contribuable. De meilleures politiques de prévention du crime, une meilleure accessibilité aux services de santé mentale, des programmes de réhabilitation pour éviter la récidive : voici autant d’initiatives qui ont le potentiel d’améliorer la qualité de vie des personnes concernées, en plus de prévenir le crime et d’alléger le coût de ce dernier pour le reste de la société. 

En attendant le changement

Humaniser les détenus, c’est comprendre les facteurs qui les ont menés à agir, qu’il s’agisse de précarité, des troubles mentaux, ou simplement d’intentions égoïstes et cruelles. Il ne s’agit pas d’excuser les crimes commis mais plutôt de se demander s’ils auraient pu être évités, et d’envisager des alternatives de prévention, de soins et de réhabilitation. Les projets comme celui de Brandon Stanton nous permettent également de se trouver face à un visage, à une histoire, plutôt que d’oublier l’existence de ceux que la société rejette. L’un des témoignages recueillis, celui d’un homme qui parle de son amitié avec un autre détenu, nous rappelle qu’être en prison n’oblige pas à tout abandonner : « Aux yeux de la société, nous avons déjà perdu. Tout le monde ici est un perdant. On peut soit s’énerver contre ça, soit continuer d’essayer de grandir.» 


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