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L’art activiste sur la toile

L’impact d’internet sur la création militante. 

Vittorio Pessin

« Art Activiste » : terme décrivant l’art, ou plutôt, les arts, comme moyens de communication pour aborder et/ou dénoncer différents problèmes sociétaux tenant à cœur aux artistes, tentant aussi parfois d’y apporter une réponse. C’est en tout cas ainsi que je comprendrai ce terme dans le cadre de cet article, bien qu’il soit, comme beaucoup d’autres, difficilement définissable.

Le mot « toile » renvoie à plusieurs choses, notamment : du tissu tendu sur un cadre pour être peint, ou internet. C’est sur ces deux significations que je m’attarde aujourd’hui, puisqu’elles ont en commun d’être un support pour l’art. Si la toile de tissu est plus « traditionnelle », l’usage d’internet pour diffuser et présenter des œuvres et projets artistiques est devenu tout à fait commun. La question se pose alors de tenter de comprendre l’impact d’internet sur l’art, et plus particulièrement sur l’art activiste.

Internet ou la « démocratisation » de l’art ?

Un premier impact notable de l’internet sur l’art, c’est qu’il en permet une diffusion, une « exposition » plus large (voire quasi infinie), gratuite, et surtout accessible à tous. Un avantage pour les artistes ainsi que pour le public, du moins au premier abord. Mais peut-on réellement parler d’une « démocratisation » de l’art ? Si internet permet à ceux qui le souhaitent de trouver l’art qu’ils recherchent, celui-ci reste élitiste d’une certaine manière. Il faut encore en connaître l’existence et le trouver, avoir l’envie, le courage et/ou simplement la patience de le chercher parmi l’océan d’égo-portraits (selfies, ndlr) et de « food porn » envahissant les réseaux sociaux. Car si l’art est devenu plus accessible au public, il ne l’est pas seulement au sens de la visibilité, mais aussi au sens de sa popularisation, car désormais chacun peut partager ses créations sur la toile. Et parfois, elles peuvent être de très mauvais goût (voir toutes sortes d’œuvres scatophiles ou encore le « vomit art »). Un problème qui se retrouve malheureusement dans l’art activiste. 

Vittorio Pessin

Internet ou la fin de la beauté de l’art ?

En effet, le problème de cette accessibilité et liberté de l’art sur la toile est que celle-ci se retrouve vite saturée. Comment alors être visible ? Certains l’ont vite compris : tous les moyens sont bons. Sur un espace public tel qu’internet, ce que l’on voit le mieux, c’est le contenu choc et tout ce qui peut provoquer le débat. On recherche la couverture des médias et réseaux sociaux, les « J’aime », etc. Ainsi pourrait-on dire que l’art activiste sur internet tue l’art, ou du moins l’art « beau ».

De plus, ce besoin de choquer rend certains activismes plus visibles : par exemple, le mouvement «#FreeTheNipple » (« LibérezLeTéton », ndlr), l’art des Guerilla Girls, ou encore la polémique lancée sur Instagram par la censure d’une photo de l’artiste Rupi Kaur la montrant allongée de dos, habillée d’un jogging taché de sang menstruel. Encore que ces œuvres ne sont choquantes que parce qu’elles ne devraient pas l’être. Pourtant, d’autres peuvent être d’aussi mauvais goût que celles mentionnées plus tôt. Prenons l’exemple d’Ai Weiwei, disant défendre la cause des immigrés, qui a choisi de reproduire l’image d’Aylan Kurdi — cet enfant dont le corps avait été retrouvé sur une plage turque en septembre dernier — en reprenant la position du petit garçon au bord de l’eau. On lui préfère largement la méthode d’accusation utilisée par Banksy à Londres, dénonçant la situation de immigrés de la jungle de Calais sur un mur en face de l’ambassade française.

Le problème de cet aspect « choc » de l’art activiste sur internet est donc qu’il fait de grands oubliés, tels que l’art environnemental : qui donc voit et parle régulièrement du « recupart » (art dont les œuvres utilisent exclusivement des objets recyclés) comme pratiqué par Vik Muniz, Jane Perkins ou encore Bernard Pras ? On parlera plutôt des revendications et mises en scène provocatrices de groupes activistes « tout court » tels que Greenpeace ou les mouvements de protection animaliers. Et si ceux-ci défendent de belles causes, on aimerait bien voir un retour du « Beau », finalement.


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