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Trois heures quarante-cinq

Rétrospective sur le cinéma de Chantal Akerman.

Collection de la cinémathèque québécoise

Mesdames et messieurs, le défi de cet article sera de ne pas faire l’éloge aveugle de Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles simplement parce que l’on sait que sa réalisatrice Chantal Akerman s’est enlevée la vie le 5 octobre dernier. Avec tout le respect que l’on doit à cette cinéaste belge post-Nouvelle Vague — pour qui la Cinémathèque Québécoise a organisé une rétrospective jusqu’au 22 janvier —, restons professionnels et replions nos mouchoirs. 

Jeanne Dielman, en bref, c’est l’histoire d’une femme au foyer qui se prostitue, incarnée par la superbe Delphine Seyrig. En termes descriptifs, la liste est longue pour ce « long » long-métrage tourné en 1975. Des plans fixes, des jeux de lumières, des plans fixes, des dialogues rares (parfois même muets), encore des plans fixes, une esthétique irréprochable et enfin l’impression globale que quelque chose va ou doit se passer. On a beau prétendre au titre de cinéphile, face à trois heures quarante-cinq de lente déchéance dans un quasi huis-clos, il y a de quoi trouver le temps long. 

Collection de la cinémathèque québécoise

Mais ne nous limitons pas à la description : osons l’analyse subjective, au péril de toute crédibilité. Car trois heures quarante-cinq de passivité physique c’est presque autant de bouillonnement cérébral. On ne comptera pas le nombre de fois où l’on a disséqué l’écran en se grattant la tête. Et ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de ressentir la lenteur du quotidien de façon si intense. Ayons la sagesse d’admettre que trois heures quarante-cinq d’observation c’est aussi un exercice de patience, une invitation au respect. 

Non, Jeanne Dielman ne se transformera pas en citrouille, aucun acte surnaturel ne viendra briser la routine qui l’asservit, sinon un oubli. Le deuxième jour, elle fait trop cuire ses pommes de terre, et là : ce sont tous ses repères qui perdent le nord. Le tout, dans une gravité qui effacerait presque le ridicule d’un tel incident : quoi que l’on dise, Miss Akerman avait de l’humour.

À l’inverse d’un bon vieux film de Godard, il n’y a pas de voix-off qui nous perd dans des réflexions aussi délicieuses que perturbantes et en 1974, Chantal Akerman confiait à l’acteur Sami Frey que la psychologie des personnages ne l’intéressait pas. Finalement, Jeanne Dielman c’est aussi la mise en scène de choses anodines, à l’apparence peu profondes mais qu’il fallait oser porter à l’écran. La beauté des images au service de la lassitude — et vice-versa —, c’est tout de même un bel hommage à la fragilité humaine. Donc malgré l’introduction de cet article : merci Chantal.


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