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Les rois sont morts, vivent les rois

Une analyse de la crise pétrolière.

La semaine dernière, le prix du baril de pétrole brut américain est brièvement passé en-dessous des 28 dollars. C’est un niveau record pour le cours du baril qui était à plus de 100 dollars il y a 18 mois. En effet, la dernière fois que le prix du baril avait plongé si bas était il y a plus d’une décennie, en 2003 plus exactement. Beaucoup s’interrogent alors sur le pourquoi du comment de cette chute effrénée du baril. Après tout, est ce que l’on ne nous avait pas promis que l’on n’aurait bientôt plus de pétrole ? 

En 2016, le pétrole est roi…

Si un jour vous décidez de vous mettre à vivre consciemment et ainsi choisissiez de bannir le pétrole de votre vie, bonne chance : il est devenu une partie aussi importante de notre vie que la nourriture ou l’eau. Le pétrole ne sert pas seulement comme carburant pour les voitures, les avions, les trains et autres moyens de transport, il sert aussi comme combustible de chauffage et comme matière première pour virtuellement tous les produits synthétiques qui existent, que ce soit de façon directe ou indirecte. Au Canada, la consommation de pétrole s’élève à 1,5 million de barils par jour, soit 2,5% de la consommation mondiale. Pas mal pour un pays qui ne représente que 0,5% de la population mondiale. En 2016, le pétrole est inévitable : il nous transporte et nous chauffe, mais transporte aussi la plupart des biens que nous consommons et est partie intégrante de la plupart de ces biens. Il correspond aussi bien souvent à une des formes d’énergie les moins chères pour les pays en voie de développement. Il représente le sang visqueux de l’économie moderne et, à ce jour, aucun pays ne peut se targuer d’être complètement indépendant de ce dernier.

…mais qui est le roi du pétrole ?

On pourrait penser que les rois du pétrole sont les grandes multinationales et les pays exportateurs de pétrole. Les compagnies publiques dominent largement le podium que ce soit en terme de réserve ou de production alors que seulement quatre compagnies privées prennent une place dans le top 10 des plus gros producteurs de pétrole : BP, la Royal Dutch Shell, ExxonMobil, et Chevron, et aucune ne se place dans le top 10 des plus grosses réserves pétrolières.

Mais à l’ère où le baril de pétrole est moins cher qu’un baril de poulet frit du Kentucky, peut-on vraiment parler de ces pays et compagnies comme des rois du pétrole ?

En 2015, les revenus de l’Arabie Saoudite n’ont pas réussi à couvrir ses vastes dépenses (162 milliards contre 260 milliards de dollars) tandis que le chômage chez les jeunes séoudiens entre 16 et 29 ans s’élevait à 29% dans la même année. Le budget qatari est lui aussi près de passer dans le négatif en 2016. De leur côté, la Russie, l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan ont vu leur monnaie s’écrouler avec des taux de changes records. L’Azerbaïdjan s’est même mis à taxer toute sortie de monnaie étrangère dans une tentative désespérée de ralentir la descente aux enfers de la sienne. Le Venezuela fait face à une potentielle inflation de plus de 720% cette année, selon le FMI.

Du côté des multinationales, le résultat n’est guère plus joli : ExxonMobil est celle qui s’en sort le mieux avec une chute de seulement 27% du cours de son action depuis l’été 2014, tandis que les trois autres ont chuté de plus de 30% sur la même période — la Royal Dutch Shell en tête, avec une chute de près de 40% du cours de son action.

Matilda Nottage

Qui a assassiné les rois ? 

Avec des cours du pétrole si bas et une volatilité si forte, il serait naïf de croire qu’il n’y a qu’un seul coupable. Les doigts pointent plutôt dans tous les sens. La Chine, l’Europe, Daesh, le Moyen-Orient… tous les coupables habituels sont de mise pour cette chasse aux sorcières. Tout d’abord, il faut comprendre les problèmes qui freinent la demande de pétrole. 

L’Europe est en pleine crise d’identité, exacerbée par la crise des migrants qui est venue s’ajouter à sa crise économique, ses mouvements nationalistes d’extrême droite, ou encore les envies de sécession dans certains pays comme le Royaume-Uni. L’ambiance n’est donc clairement pas à la forte croissance, contrairement à ce que l’on peut observer chez nos voisins américains. Plus grave, la Chine, second importateur de pétrole, a vu sa croissance réduire au cours de l’année passée, événement qui a poussé les marchés financiers mondiaux dans une spirale de vente l’été dernier. La Chine et l’Europe représentant près de 38% du PIB mondial, la faiblesse de leurs économies respectives créait un environnement avec une plus faible demande de pétrole. 

Du côté de l’offre, on assiste à une offre historiquement supérieure à la demande. Tout d’abord l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP), dirigée par l’Arabie Saoudite, a répété qu’elle refusait de baisser son niveau de production et l’a, dans les faits, augmenté.

Cette stratégie est largement vue comme une façon pour les pays membres de l’OPEP d’étrangler les pays exportateurs de pétrole dont les coûts de production sont supérieurs. La principale cible de cette vendetta est l’huile de schiste : le pétrole non-conventionnel qui s’est libéralisé au cours de la dernière décennie en réponse aux hauts cours du pétrole dit « conventionnel ». En effet, tandis que le pétrole conventionnel coûte en moyenne entre 30$ et 40$ par baril extrait, le pétrole de schiste coûte entre 40$ et 90$ à l’extraction.

De plus, la récente levée des sanctions iraniennes a permis à l’Iran d’entrer pleinement sur le marché du pétrole, ajoutant plusieurs centaines de milliers de barils par jour sur le marché.

Mais ceci ne peut pas entièrement expliquer la chute des prix en dessous de la barre des 30$, c’est-à-dire en-dessous du coût d’extraction de la plupart des barils de pétrole, conventionnel ou pas. Pour cela, il faut se tourner vers la pseudo-guerre froide qui est en train de se dérouler au Moyen-Orient entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Les deux pays cherchent à démontrer leur domination sur la région, notamment au travers de guerres par ennemis interposés comme celle au Yémen, mais aussi apparemment au travers d’une guerre économique. Dans celle-ci, le gagnant sera le pays qui pourra supporter le plus longtemps ces niveaux du cours du pétrole sans voir son économie politique imploser.

Les cours du pétrole ne semblent pas prendre le chemin d’une relance inopinée et les compagnies pétrolières s’en doutent aussi. Depuis le début de la crise, selon le New York Times, près de 250 000 employés ont été renvoyés, tandis que deux tiers des puits de pétrole ont été fermés. Cette crise n’est donc pas finie et si, comme le prédit la Banque Royale d’Écosse, cette crise pétrolière dégénère en crise économique, le baril de pétrole pourrait avoir un impact négatif conséquent sur l’avenir proche des étudiants qui termineront leurs études en 2016.


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