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Lac des Cygnes revisité

Rencontre galvanisante entre ballet classique et danse sud-africaine.

Charlie

L’appropriation, la réinterprétation et l’adaptation sont l’un des moteurs majeurs permettant aux grandes œuvres classiques de perdurer à travers les siècles, les époques et les civilisations. La chorégraphe et danseuse Dada Masilo et sa troupe Dance Factory de Johannesburg ne font que confirmer cette idée, en nous livrant une version innovante de l’un des ballets emblématiques du célèbre Théâtre du Bolchoï de Moscou, Le Lac des Cygnes. Du 14 au 16 janvier, dans la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des arts, la jeune chorégraphe sud-africaine nous faisait entrer dans son monde. Un monde qui mêle danses classique et africaine, humour et chants, dynamisme et sensualité.

Swan Lake de Dada Masilo est une œuvre hautement contemporaine, car de Moscou, elle s’implante en Afrique du Sud et y transcrit l’une des grandes thématiques sociales du pays : l’homophobie. Premier et unique pays africain à légaliser le mariage homosexuel, l’Afrique du Sud se positionne en avant-gardiste sur l’une des questions sociales majeure de notre époque. De plus, Dada Masilo joue avec les conventions généralement conservatrices du ballet classique. Elle n’hésite pas à affubler les danseurs — hommes comme femmes — de tutus, introduit des dialogues, des chants et de la rythmique vocale, substitue les ballerines aux pieds nus, et enfin montre des danseurs sud-africains s’appropriant cet héritage culturel occidental qu’est le ballet classique — et ce avec une maitrise et une technique indéniables.

Charlie

Nuances chorégraphiques

Dans cette version, les danseurs arrivent et commencent à danser, mais ils sont rapidement interrompus par une narratrice qui dresse une satire du ballet conventionnel. Elle nous raconte, non sans humour, la succession des événements habituels du ballet : l’apparition du prétendant et des autres danseurs mâles, celle de la prétendante et des autres danseuses femelles, les deux amoureux qui feignent de se chercher, leur danse finale, ou encore la sensibilité souvent surjouée de la prétendante.

Par la suite, cette satire est réellement mise en scène, mais ici, c’est le cygne blanc, Odette, incarné par la chorégraphe elle-même, qui est choisie à l’unanimité pour être la future mariée. Siegfried, loin d’être impressionné par cette nouvelle épouse, accepte à contrecœur le mariage. Vient ensuite le cygne noir, qui s’avère cependant être… un homme. Majestueux, à l’allure gracile et à la souplesse déconcertante, Odile charme immédiatement Siegfried et leurs deux cœurs s’éprennent, au rythme d’une danse nocturne endiablée.

« Swan Lake  de Dada Masilo est une œuvre hautement contemporaine »

S’ensuivent des disputes avec les parents de Siegfried, la manifestation du regard de la société à travers les autres danseurs, qui pointent Siegfried du doigt et le menacent. Paria, rejeté par tous, Siegfried tente de s’expliquer mais finit par s’en aller, faute d’attention à son égard. Le spectacle se clôt par une scène incroyable, dans laquelle les deux prétendants, Odette et Odile-homme, dansent torse nu et vêtus d’une longue jupe noire, peu à peu rejoints par tous les autres danseurs.

Sans aucun doute, l’œuvre de Dada Masilo séduit. L’influence sud-africaine apporte un dynamisme et une énergie éblouissante au spectacle. Elle se ressent à travers les musiques choisies — souvent différentes des musiques originales du Théâtre du Bolchoï —, à travers le déhanchement, les ondulations du corps, le pas frappé des danseurs… Et enfin à travers la dernière scène qui fait écho à l’habillement traditionnel léger du peuple zoulou, chez qui le torse est toujours nu, tant chez les femmes que chez les hommes. Cette dernière scène nous rappelle que la danse est avant tout un corps. Et ce sont ces envoûtantes silhouettes que le public acclame avec ferveur au son de la dernière note.


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