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Une industrie qui a mauvaise mine

Les risques liés à l’industrie minière canadienne.

Luce Engérant

Au Canada, l’industrie minière emploie plus de 383 000 personnes, représente 19,6% des exportations du pays et 3,4% du PIB en 2014. Le Canada n’est pas seulement un terreau fertile pour les compagnies minières, il en est la destination par excellence. En 2013, selon le ministère des Affaires étrangères du Canada, plus de 75% des compagnies minières mondiales avaient leur siège social au pays.  Le faible taux de taxation, de régulations environnementales et de mécanismes pour tenir responsable les compagnies minières de leurs agissements dans les pays étrangers font du Canada une destination de choix pour ces dernières. 

Un lourd bilan 

En 2010, l’Association des Prospecteurs et Développeurs du Canada (Prospectors & Developpers Association of Canada, ndlr), qui regroupe et veille sur l’intérêt de plus d’un millier de compagnies minières canadiennes, a donné pour mandat au Centre canadien pour l’Étude des Conflits de Ressources (The Canadian Centre for the Study of Resource Conflicts ; CCSRC, ndlr) de dresser un portrait sur la situation des conflits miniers dans le monde. Dans un rapport, qui n’a jamais été rendu public, le CCSRC rapporte que « les compagnies minières canadiennes sont plus susceptibles d’être engagés dans des conflits communautaires et environnementaux et d’adopter un comportement immoral » Selon le rapport, des 171 incidents miniers entre 2000 et 2010, 34% d’entres eux concernaient des entreprises canadiennes, ce qui constitue le double des compagnies minières australiennes, qui elles arrivent en deuxième place. Plus de 60% de ces conflits sont communautaires et liés à l’usage de la violence et de la force, ce qui a pour effet d’aggraver le climat social et économique des populations locales. 40% de ces conflits sont liés à la dégradation de l’environnement.

Les compagnies minières n’hésitent pas à recourir à la force pour imposer leur présence. Le 9 novembre dernier, la Cour Suprême de la Colombie-Britannique a refusé d’entendre le recours de six travailleurs guatémaltèques et un étudiant déposé en juin 2014 contre la compagnie Tahoe Ressources pour négligence et assaut (battery, ndlr). Les plaignants accusent la compagnie minière canadienne d’avoir permis à ses gardiens de sécurité de tirer sur la population locale lors de manifestations pacifiques à l’extérieur de la mine d’argent Escobal, au sud du Guatemala en avril 2013. Selon la juge de la Cour Suprême, Laura Gerow, le recours devrait avoir lieu au Guatemala et non au Canada. Les plaignants ont aussi essuyé un refus du gouvernement guatémaltèque qui continue d’émettre des permis aux compagnies minières fautives, et ce malgré les centaines de manifestations et le refus des populations locales. 

L’implication de McGill 

Le Groupe de recherche et d’investigation des entreprises minières canadiennes de McGill : MICLA (McGill Research Group Investigating Canadian Mining in Latin America, ndlr) est un groupe de recherche étudiant qui cartographie les conflits liés aux compagnies minières canadiennes en Amérique Latine. La session dernière, le groupe a fait le lien entre Tahoe Ressources et l’université McGill, qui par le biais de son fonds d’investissement : l’Institut Royal pour l’Avancement de l’Apprentissage de McGill, avait investi jusqu’à 500 000 dollars d’actions dans cette compagnie qui viole les droits des populations locales. Simple coïncidence ou pas, suite aux découvertes de MICLA qui furent rendues publiques par le biais de leur site web, en juin dernier, McGill s’est désinvestie de Tahoe Ressources en vendant la totalité de ses actions.

Selon Jesse Bartoff, étudiant-chercheur impliqué au sein de MICLA, bien qu’au cours de ces derniers mois McGill ait vendu ses actions dans les compagnies minières tel que Barrick Gold, Goldcorp et Tahoe Ressources, l’Université continue d’investir dans un très grand nombre d’industries minières tel que Potash, Suncor et EnBridge. Dernièrement, l’organisation a invité le journaliste guatémaltèque Luis Solano afin de parler des différentes techniques utilisées par les compagnies minières canadiennes pour réduire au silence les voix locales, tel que l’usage de la violence et les extraditions forcées. 

Des efforts gouvernementaux insuffisants

Des compagnies minières canadiennes impliqués dans des conflits à l’étranger, huit sur dix ont une politique de Responsabilité Sociale (Corporate Social Responsability, ndlr) ce qui en prouve l’inefficacité. En 2010, le député libéral John McKay a présenté le projet de loi C‑300 : « Loi sur la responsabilisation des sociétés à l’égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement » pour permettre au ministère des Affaires étrangères d’élaborer des lignes directrices pour les industries visées en terme de pratiques environnementales et éthiques. Dans un vote très serré (140 voix contre et 134 pour), le projet de loi fut refusé, et depuis, plus rien. Le projet de loi aurait entre autres permis au ministère d’appliquer des sanctions aux compagnies fautives et de resserrer les normes de protection de l’environnement.

Luce Engérant

Le développement  durable minier est-il une utopie ? 

Le 18 novembre dernier, le club du Développement durable minier de McGill – SEP (McGill Sustainable Engineering Practices Club, ndlr) a organisé un panel sur le développement durable minier. À l’issue de celui-ci, Le Délit a rencontré Michel Julien, vice-président aux Affaires Environnementales de l’entreprise minière Agnico-Environment. Selon lui travailler dans le secteur minier peut parfois être difficile pour la conscience. Il a affirmé qu’un peu à l’image de Saint-Augustin qui a éprouvé des doutes dans sa foi de chrétien après la chute de Rome, il éprouve le même type de doute quand au développement durable au sein de l’industrie.

Une chute inévitable 

En novembre dernier, l’effondrement de deux barrages dans une mine de la ville de Mariana au Brésil a causé la mort de neuf personnes et rasé un village au complet. Suite à cet accident, plus de 60 millions de mètres cubes de déchets minéraux, soit l’équivalent de 25 000 piscines olympiques, furent relâchés dans l’environnement, rendant toute forme de vie impossible. Un peu à l’image de Rome qui fut détruite en une seule journée et évoquée dans le fameux sermon de Saint-Augustin, si les lois concernant les entreprises minières canadiennes ne sont pas durcies, ces entreprises vont détruire en une journée ce qui a pris des siècles à se bâtir.


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