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Réfugiés : crise de notre temps

Retour sur une situation trop complexe pour son propre bien.

Luce Engérant

Le concept de développement durable repose sur trois piliers : environnemental, social et économique. La crise actuelle des réfugiés concerne principalement la dimension sociale, tout en ayant d’importantes retombées économiques, et concerne ainsi le principe d’équité : à la croisée du social et de l’économique. Comment une société équitable devrait-elle répondre à la crise contemporaine des réfugiés ? Éléments de réponses, tirés notamment de deux conférences mcgilloises sur la question, parmi la multitude d’entre elles qui ont désormais lieu au quotidien : une conférence organisée par McGill Students for UNICEF (UNICEF, ndlr) sur les aspects humanitaires et sanitaires de la crise de réfugiés syriens, une autre organisée par McGill students friends of Médecin Sans Frontières (MSF, ndlr) traitant de l’expérience individuelle du réfugié.

Québec et Canada

« La crise des réfugiés est plus grande catastrophe humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale » assène Dr. Greenaway, invitée à la conférence d’UNICEF. Elle nous touche tous, que nous habitions à Damas ou Montréal. Dans les mois à venir, ils seront 7300 réfugiés syriens, selon les autorités, à arriver au Québec, sur les 25 000 à destination du Canada. Mme Hassan, professeure à l’Université du Québec à Montréal participant aussi à la conférence UNICEF, avançait qu’ils seraient plus de 9 000 alors que ce nombre ne se portait il y a quelques jours qu’aux alentours de 5 500. 

Un flou qui s’étend au traitement des réfugiés, une fois arrivés sur le territoire canadien. Ils devraient alors, une fois l’immigration passée, être conduits dans des bases de l’armée, pour y être soumis à des examens physiques et médicaux poussés. Ils devront par la suite se rendre dans leur communauté d’accueil ou leur famille de parrainage. Dr. Greenaway, qui est impliquée dans le processus, pointe de nombreux « problèmes de logistique » dans cette organisation. Une organisation surprenante qui a notamment statué que 6 900 réfugiées, sur les 7 300 à destination de la Belle Province, seront logés dans le grand Montréal, pour 230 à Québec.

Luce Engérant

Des conditions de vie indignes et dangereuses

Il faut être conscient que ces réfugiés n’ont pas seulement eu à vivre dans de terribles conditions hygiéniques ces derniers mois ou années, mais souffrent aussi de graves troubles psychologiques. Dr. Greenway, qualifiant les conditions de vie dans les camps de réfugiés d’« intolérables », explique qu’une récente détérioration de ces conditions est responsable du récent exode général des réfugiés vers l’Europe et l’Occident, depuis la Turquie, le Liban ou autres. Sur les quatre millions de réfugiés syriens, ils sont actuellement près de deux millions en Turquie et plus d’un million au Liban, et 400 000 d’entre eux ont, pour l’instant, fait le périple jusqu’en Europe en 2015 — sur 800 000 nouveaux refugiés en Europe au total. Malheureusement, une fois la Méditerranée traversée, la situation ne s’améliore guère pour les réfugiés, se retrouvant de nouveau à vivre dans des conditions « insalubres », selon Dr. Greenaway. En cause : le manque de préparation flagrant des pays européens.

Graves problèmes sanitaires

En Syrie, ce sont plus de la moitié des hôpitaux publics qui ne sont plus fonctionnels, entraînant une couverture vaccinale déficiente et le regain de maladies comme la polio et la tuberculose. Les maladies transmissibles sont aussi plus présentes pour la population syrienne relativement aisée, dont l’espérance de vie était de 73 ans en 2011. Ces réfugiés, affaiblis physiquement, ont aussi été exposés à une violence extrême et ont souvent tout perdu : leur famille, leurs proches, leur terre, leur identité… Comme l’explique la professeure Hassan, ces réfugiés montrent souvent des symptômes physiques, émotionnels et cognitifs de ce trauma. De plus, 50% des réfugiés syriens sont des enfants, et trois-quarts d’entre eux ont moins de douze ans. Des enfants trop souvent victimes de violence physique et sexuelle, parfois recrutés par des groupes armés, qui finissent par intérioriser cette violence environnante et requièrent un suivi psychologique régulier.

Guerre des chiffres ?

« Les Syriens sous des sous-hommes » clame Afra Jalabi de The Day After Project (Projet du Jour d’Après, ndlr). Alors que le monde réagit avec effroi aux attentats du 13 novembre à Paris, les 500 000 morts syriens depuis 2011, voire un million selon Mme Jalabi, sont quasiment ignorés par la communauté internationale. Ce n’est pas la réaction aux attentats de Paris qui est disproportionnée mais bien celle à la situation syrienne qui est largement insuffisante. La seule explication à ceci, continue Mme Jalabi, est que l’on ne considère pas les Syriens comme des humains à part entière. À Pr. Hassan de tempérer cette affirmation, de remarquer qu’il n’y pas de course, de « compétition de la tristesse », qu’on peut pleurer les victimes syriennes et oublier les six millions de mort au Congo depuis 1998. Mme Jalabi nous a aussi tous mis en garde envers les amalgames qui foisonnent ces derniers temps : les réfugiés syriens n’ont pas de vues terroristes et ne sont pas responsables des attentats de Paris. Une réaction de rejet, comme celle des 26 gouverneurs américains ayant fermé leur porte aux réfugiés syriens, est ainsi imbécile et foncièrement erronée.

« La crise des réfugiés est plus grande catastrophe humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. » -Dr. Greenaway

À ne pas ignorer non plus, selon Khalid Medani — professeur mcgillois en sciences politiques et intervenant à la conférence MSF — que le problème de déplacement interne en Afrique — au Soudan — et au Moyen-Orient, est un phénomène bien plus large que l’émigration forcée. Il y aurait près de sept millions de déplacés internes en Syrie aujourd’hui. Il ne faut pas non plus oublier, comme le rappelle Mme Jalabi, les millions de migrants qui ont quitté la Syrie, ou autre, de manière légale dans les années précédant le conflit civil, et qui ne sont pas officiellement comptabilisés. La définition légale du réfugié, celle du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) le décrit comme une personne vivant à l’extérieur du pays de sa nationalité et ne pouvant pas, ou ne voulant pas, y rentrer, dû à une « peur justifiée d’y être persécuté ». 

Le réfugié comme agent

La solution débute, selon Ecem Oskay ‑étudiante en maîtrise à McGill et oratrice à la conférence de MSF- par un changement de perception du réfugié. Ce « réfugié » qui n’est considéré que comme tel et n’est pas perçu comme un agent en soit, un individu avec une identité propre, comme tout être humain, au-delà de sa condition de réfugié. Un réfugié ordinairement infantilisé et féminisé, pour évoquer la vulnérabilité, mais aussi déshumanisé par un label restrictif et unique. Alexei Simakov, étudiant à McGill et arrivé illégalement au Canada avec sa famille depuis la Sibérie ‑participant à la conférence de MSF‑, peut partager l’expérience du réfugié avec tous. 

Il raconte un voyage périlleux jusqu’au Canada, aux mains d’un passeur grassement payé, pour arriver comme résident illégal dans un pays où, ne connaissant personne et y étant sans papiers, on ne peut que compter sur ce passeur pour vous trouver toit et emploi. Devoir renvoyer ses gains à la maison dès son arrivée, comme le font tant de réfugiés : en 2015, 584 milliards de dollars ont ainsi fait le transit entre pays hôtes et pays d’origine. Y être, en tant qu’adulte, condamné à effectuer des petits boulots ‑au noir le plus souvent- pour espérer voir ses enfants s’élever au-dessus de leur condition initiale. Une situation qui, selon M. Simakov,  plaide pour que le succès de l’intégration des réfugiés soit jugé à l’aune de la réussite sociale de la seconde génération.

Le professeur Medani l’avoue, il ne se sent pas légitime, du haut de son doctorat en sciences politiques, et en tant que spécialiste du monde arabe, pour parler de la situation actuelle des réfugiés. Une question complexe et qui requiert pour l’appréhender, avant même de pouvoir la résoudre, d’adopter une attitude « ouverte » comme l’a affirmé Pr. Hassan, il faut accepter que le persécuteur se pense victime, que l’autre ne soit pas ce que l’on pense. Somme toute, qu’il n’y a pas qu’une vérité.


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