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Le mensonge du capitalisme vert

La croissance durable est un mythe.

Le 30 novembre prochain s’ouvre donc la COP21 à Paris, qui promet de freiner le changement climatique et de rendre l’économie mondiale plus respectueuse de l’environnement. La communication autour de la conférence donne lieu à une pléthore d’expressions clichées, rébarbatives et déjà usées jusqu’à la moelle : le développement va être « durable », la croissance doit devenir « verte », il faut « verdir » le capitalisme. Le fond idéologique derrière ces slogans très politiquement corrects est toutefois clair : le problème écologique actuel résiderait uniquement dans certains aspects du système capitaliste d’aujourd’hui. En aucun cas, le fond et le principe même de l’économie capitaliste ne sont remis en cause : la sacro-sainte loi du marché autorégulé, le libre-échange et, plus que tout, la croissance comme preuve de développement. « Verdir » le capitalisme, c’est vouloir changer les excès d’un système considéré comme intrinsèquement bon et capable de surmonter l’incomparable défi écologique qui se pose à nous en ce 21e siècle.

Le capitalisme et ses « externalités »

Pourtant, et les chefs d’État réunis à Paris ne semblent pas vouloir l’apercevoir, y a‑t-il quelque chose de plus impensable qu’une croissance « durable » ? Comment imaginer que la croissance, par définition illimitée et infinie, puisse s’accomplir dans un monde fini ? Il y a une incompatibilité, pourtant évidente, occultée par ces belles expressions : il s’agit par là de promouvoir le changement sans changer d’un iota le fond du système lui-même. En somme, tout comme l’explique Giuseppe di Lampedusa dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Il faut accepter de changer quelque peu certains aspects pour préserver le fond du système actuel, qui met en danger, lui, l’avenir de notre planète. 

Le capitalisme soi-disant « vert » n’est ainsi pas seulement moralement coupable, il est logiquement absurde.

Le problème écologique n’est donc pas conjoncturel, une simple contingence dans l’inexorable progrès du capitalisme, censé apporter bien-être et richesse à la planète entière : il est un sous-produit de l’économie capitaliste elle-même. Tout comme sa logique purement économique la pousse à l’exploitation intensive de l’homme, sans souci de son bien-être, ce même principe conduit à l’exploitation déraisonnée des ressources naturelles, dans un souci de profit élevé à très court-terme, sans prise en compte des conséquences non-économiques catastrophiques de ce système d’exploitation (pudiquement appelés « externalités négatives » par la rhétorique libérale). Au Canada, par exemple, l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta est un sujet brûlant, compte tenu de son effet désastreux sur l’environnement. Le capitalisme l’exploite actuellement sans aucun souci environnemental. Le capitalisme « vert » minimiserait peut-être les répercussions sur l’écosystème au moment de l’exploitation mais ne prévoirait en aucun cas le fait que, tôt ou tard, les réserves de l’Alberta seront épuisées : il ne voit qu’un seul intérêt, celui de générer le plus de richesses en un minimum de temps.

Le capitalisme soi-disant « vert » n’est ainsi pas seulement moralement coupable, il est logiquement absurde.

« Debout les damnés de la Terre »

Cette production effrénée est consubstantielle de notre consommation tout aussi effrénée, qui porte à bout de bras le système capitaliste. La doxa libérale y voit un nouveau moyen d’affirmer la nécessité d’une croissance « verte » : comment vouloir limiter la production de richesse, et donc sa consommation, dans un souci environnemental, alors que la majorité de l’Humanité vit encore aujourd’hui dans la pauvreté ? Herbert Marcuse appelle cet argument « l’idéologie de la pénurie » : notre système produit assez de richesses pour donner à chacun les conditions nécessaires pour vivre correctement. Le problème réside beaucoup plus dans l’inégale répartition des richesses que dans leur production : c’est parce que le système capitaliste produit l’essentiel de ses richesses pour une minorité, de certaines personnes, de certains pays, que nous avons toujours le sentiment d’être en pénurie, de n’avoir pas produit assez. Renoncer au capitalisme, ce n’est donc pas renoncer à la production de richesse en soi, c’est accepter une meilleure répartition pour satisfaire les besoins de tous : défi écologique et défi social sont ainsi intimement liés.

Le capitalisme « vert » ne peut être ainsi qu’au mieux un moyen de repousser l’inévitable crise interne qui surviendra au moment de l’épuisement des ressources. Il est temps d’organiser une transition vers un système redistributif plus juste, un système de production centré sur le bien-être des travailleurs et le respect de l’environnement et une remise en cause profonde de la société consumériste. Pour paraphraser Castoriadis et Lefort, nous pouvons dire aujourd’hui que nous avons le choix : socialisme ou catastrophe environnementale.


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