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Programmer Chopin, rêver Schumann

Quand l’OSM fait l’équation entre la nostalgie et l’espoir.

Ne vous êtes-vous jamais demandé qui décidait d’une programmation de concert ? Le pourquoi du comment d’un mélange entre différentes compositions de différents artistes ? La question est d’autant plus pertinente que, pour l’oreille inexpérimentée, la réponse ne coule pas de source — au contraire, il faut la deviner.

Tandis que l’un grimpe le mur pour sortir, c’est le mur qui grandit en même temps.

Que penser, par exemple, de Chopin et Schumann, précédés de Denis Gougeon, compositeur contemporain et actuellement professeur à l’Université de Montréal ? C’est pourtant ce que nous a offertre l’Orchestre symphonique de Montréal ce mercredi 7 octobre, avec Rafał Blechacz joue Chopin, dans le cadre des Grands concerts du mercredi 1.

Prenez Gougeon, pour commencer. À contre-courant d’un magnifique orchestre, c’est un cor soliste qui prend la parole, parfois timide, parfois terrassé, parfois plein de haine. Face à des notes fébriles, l’unisson des cordes de l’orchestre prend le dessus. Face aux decrescendos du solitaire, les crescendos du groupe. Tandis que l’un grimpe le mur pour sortir, c’est le mur qui grandit en même temps.

Que faire de cette œuvre ? Des interprétations, il y a en a deux. La première suggère la solitude du soliste devant la vague sonore de tous les autres. Jamais ine se fera-t-il entendre, car jamais personne ne l’écoutera. C’est le fatidique destin de ceux qui vivent pour être différents. La deuxième interprétation invite à l’espoir : et si, sous ses notes pointillées et éparses, le cor développait au contraire sa force au point de surplomber l’orchestre dans les dernières secondes du morceau, travaillant « corps et âme » pour se faire entendre ? Alors c’est l’Espoir qui emplit la salle de concert — un tout qui se forme, enfin.

Quoi qu’il en soit, cette épreuve de force musicale n’a plus lieu d’être alors que Rafał Blechacz, illustre pianiste polonais, s’installe aux commandes de son instrument, pour la deuxième œuvre. Léger, le Concerto de piano no. 2 en Fa mineur de Chopin mêle une nostalgie heureuse et la véritable envie de vivre en trois mouvements. En contraste radical avec Gougeon, le soliste et l’orchestre sont là en symbiose : ils ne sont qu’un, se parlent et s’écoutent, questionnent et répondent, sans jamais s’apostropher. Ce ne sont pas les fausses notes et les contre-temps de Bartok ni les silences de Barber. Au contraire, la quiétude résonne à l’OSM. En accord avec la structure musicale de son temps, ce Concerto est en outre l’archétype des œuvres de Chopin : on retrouve dans la partition du soliste des bribes du fameux Nocturne en Fa dièse ; le piano trace son propre chemin et l’orchestre suit. Rien n’est laissé au hasard : les harmonies se suivent et se ressemblent, pour un tout plein de sérénité et sans surprise.

Que dire de plus, d’ailleurs, de Schumann, qui signe la dernière œuvre avec sa Symphonie no. 4 en Ré mineur ? C’est la force des instruments dans le calme plat des harmonies (ce n’est pas respectueux, mais c’est ainsi). Comment allier vitalité musicale et structure des plus classiques et élémentaires ? Schumann est la réponse, en une symphonie, en quelques coups d’archet.

Quel lien y a‑t-il donc à tisser entre ces trois travaux ? Impossible à savoir car : Kent Nagano, le directeur musical, ne l’écrit nulle part. Alors laissons place à nos imaginations ; que nos envies et nos amours vibrent avec l’ensemble orchestral. Que le cor soliste soit l’espoir de l’un, la tristesse de l’autre. Que Chopin rime avec nostalgie ou force de vivre. Enfin, ne rationalisons pas l’OSM quand son seul but est de nous faire rêver.


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