Aller au contenu

Quand spectacle rime avec voyage

Après la peur : douze pièces interactives à travers Montréal.

Mahaut Engérant | Le Délit

Dans une approche originale de la représentation théâtrale, le metteur en scène français Armel Roussel présentait Après la peur au Théâtre d’Aujourd’hui du 1er au 5 septembre. Le spectacle présente douze mini-pièces parmi lesquelles les spectateurs doivent sélectionner quatre itinéraires. Ils sont plongés dans des univers multiples : emmenés à bord d’un minibus arpentant Montréal, dans une location de la compagnie Airbnb, voire même dans le hall du théâtre pour trente minutes de jeu. Les pièces posent des questions de société universelles, comme nos réactions face à l’immigration, le regard que l’on porte sur l’autre, la place de la jeunesse ou encore notre appréhension de la mort. La force de ces pièces réside dans la présentation de ces thèmes, effectuée de manière atypique et souvent émouvante. 

  Après la peur, que reste-t-il de notre relations à l’autre, des sentiments que nous pouvons éprouver à son égard ?  C’est l’une des grandes réflexions qui lient les différents spectacles entre eux. Armel Roussel et sa troupe de comédiens déconstruisent volontairement le « quatrième mur » traditionnel du théâtre. Ils boulversent ainsi les attentes du spectateur, qui n’est plus confortablement installé dans son fauteuil devant une scène et c’est l’intelligence émotionnelle qui parle alors. 

Deux représentations, Ghost Songs de Gilles Poulin-Denis et Banalités d’usage de Soeuf Elbadawi présentent  parfaitement la diversité des thèmes abordés par le spectacle.

La pièce Ghost Songs réussit avec succès à nous emporter avec elle en roadtrip jusqu’en Amérique. Au début de la pièce, les spectateurs montent dans une voiture et ferment les yeux. La voiture avance ensuite et on se réveille en route pour Chicago, la neige tombant sur le pare-brise. On se croirait en plein mois de février. Spectateurs à l’arrière de la voiture, nous assistons à la rencontre d’un conducteur et d’une auto-stoppeuse qu’il prend sur la route. Témoins de cette entrevue mystérieuse, nous sommes entraînés avec cette jeune femme sur la route qu’avait parcourue son ancêtre, une cinquantaine d’années auparavant. 

En sortant, les spectateurs ont réellement l’impression de laisser derrière eux un univers mystique, avec le sentiment d’avoir traversé, avec les héros de la pièce, les plaines désertes de l’Amérique. Contrairement aux autres pièces qui entraînent plus directement les spectateurs vers une réflexion, le metteur en scène Gilles Poulin-Denis cherche à nous plonger dans un univers fictif particulier qui nous permet de nous évader dans le monde des personnages.

De son côté, la pièce Banalités d’usage : Un musulman de moins nous convie à un dîner. On s’assied : un peu de vin, du pain pita, et du houmous pour le repas. Mais l’hôte n’est pas là : un enregistrement sonore est lancé, et l’on entend Soeuf Elbadawi commencer son histoire. Originaire de l’archipel des Comores, le poète Soeuf Elbadawi serait resté bloqué à la frontière où il précise qu’il est musulman. Serait-ce la raison de son arrêt à la frontière ? Rien n’est précisé, seulement suggéré. Puis la voix du comédien parle aux spectateurs de l’hospitalité, cette manière d’appréhender l’étranger, l’autre, en lui proposant d’échanger, de partager. La pièce est alors terminée. Les thèmes abordés furent forts : l’immigration, l’altérité, tous deux d’actualités. Quelle relation à l’Autre, qu’il soit musulman, immigré, les deux ? La peur est-elle le seul filtre de contact possible aujourd’hui ?

Et puis, de derrière un rideau, un homme surgit. On comprend alors que c’est Soeuf Elbadawi, le conteur de l’histoire qui n’a en fait jamais été bloqué à la frontière. Il nous parle de Moroni, sa ville natale, en chantant magnifiquement. S’ensuit une discussion tendue entre lui et un comédien qui se fait passer pour un spectateur sur les questions du vivre-ensemble, de multiculturalisme, de laïcité. On quitte la pièce avec des souvenirs forts et une expérience nouvelle du théâtre politique. 

Note de la rédaction : le metteur en scène Armel Roussel et sa troupe reviennent tous les ans à Montréal pour proposer un nouveau spectacle et poursuivre l’aventure.


Articles en lien