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Le sexe des femmes

LOVE ME, Love My Doll remet en question les mythes de la féminité fantasmée. 

Eléonore Nouel

Les chercheuses féministes ont observé une sexualisation de la culture (Gill, 2007), typique du post-féminisme depuis les années 1990. L’exposition LOVE ME, Love My Doll exploite et dénonce cette standardisation des comportements et la création sociale du mythe d’une féminité fantasmée, définie par le plaisir de consommation. La Centrale, centre féministe fondé en 1974, expose la série de peintures de la jeune artiste Gabrielle Lajoie-Bergeron jusqu’au 10 avril.

Volontairement provocantes, les peintures de l’artiste interrogent la mince frontière entre la jeune fille et la femme, entre sujet et objet sexuel. Le titre de l’exposition est aussi le titre d’un documentaire de Nick Holt diffusé par la BBC en 2007 qui raconte les histoires d’hommes qui tombent amoureux de poupées de taille humaine. Dans une vidéo mise à disposition des visiteurs de l’exposition, l’artiste explique qu’après avoir vu ce documentaire, elle a souhaité réagir et exprimer la dualité qui existe entre l’épanouissement sexuel par lequel passe une jeune fille et l’objectification ou la domination sexuelle qu’une femme subit, que ce soit dans sa représentation médiatique ou dans la réalité. 

La série LOVE ME, Love My Doll propose une représentation surprenante et déconcertante de jeunes filles entre l’innocence et la provocation. Cette image du corps féminin est soumise au regard du visiteur, qui perçoit une étroite limite entre l’objectification de la femme et la liberté de la jeune fille. La femme-objet est peinte comme une poupée prête à l’emploi tandis que la jeune fille épanouie maintient un regard perçant et défiant qui assure une indépendance et qui rend à la femme le contrôle de son corps. La dualité entre la domination et la liberté, l’innocence et l’objectification sexuelle, est flagrante dans la peinture d’une jeune fille blonde vêtue d’un juste-au-corps de gymnaste rose et blanc, à cheval sur un chevalet. Son corps est dévoué à la gymnastique, ce qui lui donne un air innocent et libre. Pourtant, la bouche de la jeune fille est peinte toute ronde, grande ouverte et vide, rappelant la bouche des poupées gonflables et donc l’objectification sexuelle. Comme un symbole de la sexualité féminine, un fruit peint quelques centimètres sous l’entre-jambe de la jeune fille vient rappeler la position sexuée de celle-ci. 

Sur le mur d’en face on voit une femme, assise sur le sol, les yeux noirs, vides, l’air inerte et la bouche grande ouverte. C’est une poupée posée, dans une chambre, par son propriétaire. Sur le tableau suivant, une femme brune se tient debout, une cigarette à la main, les seins à l’air et le regard droit. Elle contrôle sa sexualité et semble défier quiconque oserait remettre son pouvoir en question.

Plus perturbant, un tableau plus petit représente le sexe féminin et les jambes d’une femme dont on ignore si elle est de chair ou de plastique. Le tableau métonymique n’indique que son sexe, et met en avant la réduction de la femme à son organe génital. Cette peinture, à la différence de L’origine du monde, célèbre tableau de Gustave Courbet (1866), ne représente pas le consentement mais plutôt la domination, car le sujet est représenté de dos.

C’est une idée provocante que la peintre a souhaité exposer. Elle dérange. Elle fait remarquer que l’on est habitué à une sexualisation de la culture qui chevauche cette limite très fine entre les différentes fonctions du corps féminin. Pour fil conducteur, l’exposition pose la question de la domination. Qui domine le corps de cette jeune fille ? Qui domine sa sexualité ? La réponse se trouve dans les yeux, la bouche, les symboles et autres indicateurs subtilement placés par l’artiste à l’intérieur de chaque tableau. La femme est-elle une poupée, une jeune fille ou simplement une femme épanouie et maîtresse de sa propre sexualité ?


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