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Une dystopie réussie

La troupe du TNC termine l’année sur une production particulièrement percutante.

TNC

Cette année, pour fêter la clôture de la saison d’hiver 2015, le Tuesday Night Café nous offre une composition originale issue de la collaboration de la metteuse en scène Ali Vanderkruyk et de sa troupe de théâtre, Burning in Water, Drowning in Flame. Inspirée de la poésie de Charles Bukowsky  – à laquelle elle fait d’ailleurs directement référence par son titre –, cette pièce nous plonge dans le quotidien de quatre soldats atteints d’un trouble de stress post-traumatique, que les dirigeants de la hiérarchie militaire tentent de pallier en maintenant constamment ses effectifs sous l’effet d’une nouvelle drogue, appelée « ephembrium ».

Cet élément, de même que la projection du premier acte en 2045, contribuent à conférer à cette création une atmosphère dystopique qui n’est pas sans rappeler celle du Meilleur des mondes de Huxley, dont le livret reproduit efficacement le ton paternaliste d’une propagande d’État qui vise à rassurer ses citoyens, tout en cherchant à les convaincre de remettre leur liberté entre les mains d’une institution gouvernementale bienpensante. Dans cet univers étrangement proche du nôtre, aucune police secrète ne menace les dissidents qui chercheraient à dissuader des volontaires de s’engager dans l’armée, de même qu’aucune punition ne s’abat sur la vétérante Lane (interprétée avec brio par Ruthie Pytka-Jones) lorsque celle-ci tente d’arracher le dispositif qui maintient ses camarades dans un état de léthargie intellectuelle en leur administrant une dose d’ephembrium toutes les trois ou quatre minutes. 

Cette absence d’une menace concrète, laquelle aurait très bien pu prendre la forme du réseau d’espionnage orwellien qui gouverne le monde de 1984, nous rappelle que la violence d’État ne s’exerce pas toujours de manière explicite, et que, dans un régime démocratique, elle se dissimule souvent derrière des politiques qui prétendent œuvrer en faveur du bien-être de la communauté. En cette ère marquée par les coupures budgétaires, auxquelles le projet cyclique d’une grève générale illimitée tente vainement de s’opposer depuis l’éclosion du « printemps érable », il est difficile de ne pas lire une critique à peine voilée de l’autoritarisme de nos dirigeants actuels derrière les formules qui composent le discours de recrutement militaire livré aux spectateurs en guise de brochure : « Le monde est au bord du chaos, mais vous pouvez lutter avec nous pour l’austérité et la justice. »

Le second acte, situé en 2015, avant la guerre, dans un bar qui s’avère être une plate-forme de recrutement militaire, explore davantage le contexte qui a pu aboutir à cet univers dystopique. Bien qu’il n’explique pas tout à fait ce qui a bien pu pousser les quatre vétérans du premier acte à s’engager dans un conflit dont les ennemis ne seront jamais dévoilés, il témoigne bien de la détresse émotionnelle de ces volontaires, en soulignant par ailleurs que rien ne les distingue a priori des « simples » citoyens qui choisissent de demeurer à l’écart. Tous les personnages de cette production demeureront jusqu’au bout des recrues potentielles, tout comme les spectateurs auxquels ils adressent souvent leurs monologues désespérés dans une proximité étouffante, qui est certes imposée par la taille de la salle de spectacle, mais qui s’avère néanmoins appropriée à ce projet artistique. Une production à ne pas manquer.


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