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Un Spartacus à figure canine

Primé à Cannes, White God retrace une révolution de cabots dans un Budapest au bord du chaos.

Luce Engérant

Impressionnant, déroutant, sidérant, tels sont les premiers mots et émotions qui nous viennent à l’esprit pendant la première séquence du film White God.  Une jeune fille pédale à vélo dans les rues étonnamment désertes de Budapest, lorsqu’une meute de centaines de chiens, hurlants et toutes dents dehors, déboule derrière elle et se met à la poursuivre. Cette scène d’ouverture qui glace le sang dès la première seconde permet d’introduire le thème de White God réalisé par Kornél Mundruczó : les bêtes à quatre pattes seront des acteurs de toutes parts. Le film est réalisé sans trucages ni effets spéciaux, faisant appel à 274 chiens, tous adoptés de fourrière. Un vrai travail de dressage a été effectué pour tourner toutes les scènes ; jusque-là on peut déjà parler de véritable exploit.

White God, en référence au film du même nom réalisé par Samuel Fuller (1987), retrace une histoire d’amour entre Lili, adolescente de treize ans, et son chien Hagen, bâtard rejeté par le père de cette dernière. Ses parents étant séparés, Lili est contrainte de vivre pendant trois mois sous le toit de son père lorsque sa mère s’en va aux États-Unis pour enseigner. Le seul hic c’est qu’à ce même moment la Hongrie adopte une nouvelle loi qui a pour but d’interdire les races de chiens dites « bâtardes ». Le père de Lili, qui ne veut pas payer d’amende, décide d’emmener Hagen en fourrière. Mais Hagen ne sera pas abattu, comme Lili le pensait. Il devient un chien errant, découvrant la faim, les rafles par la fourrière, la violence et la cruauté des hommes. Il fait la connaissance d’autres chiens abandonnés comme lui, mais tombe très vite entre les mains de malfrats et de sombres trafics. Hagen devient alors Max, entrainé en machine de combat. Un jour, il égorge un autre chien et découvre la mort ; il s’échappe, faisant basculer le sort des chiens errants pour toujours. 

Parallèlement à l’histoire d’Hagen, on découvre le destin de Lili après l’abandon de son chien. Tout comme lui, Lili se sent captive et a soif de liberté. Elle désobéit aux ordres de son père et s’enfuit à maintes reprises pour retrouver son chien. Le réalisateur dresse un miroir entre les deux protagonistes : lorsque, pendant la scène du combat, Hagen change son rapport aux humains, Lili s’immerge dans les profondeurs d’une boite de nuit et dans une attitude qui n’est pas la sienne. 

Lauréat du prix Un Certain Regard au Festival de Cannes en 2014, White God est un film qui étonne par sa prise de vue originale. Le réalisateur nous installe pendant deux heures dans l’horizon de celui qui subit et réussit à représenter le sort d’un chien qui lutte pour sa survie. La caméra reflète les moindres émotions de l’animal : l’incompréhension, la peur, la colère se lisent sur la truffe du chien, qui devient humain. Car dans ce film, il y a bien renversement des rôles : on découvre les hommes portés par des pulsions animales et par une cruauté indescriptible alors que les bêtes deviennent de vrais combattants qui luttent pour que liberté et justice soient faites.

White God n’est pas un film plaisant à voir, bien au contraire. Certaines scènes créent l’effroi, le dégoût et la révolte, glaçant le sang par leur réalisme pétrifiant. Toutefois le spectateur est porté par le désir de savoir si Lili et Hagen se retrouveront dans les mêmes termes qu’au moment où ils se sont quittés. 

White God est bien plus qu’un film à la réalisation impeccable. En effet, la parabole sur le racisme et la xénophobie ne fait pas de doute. Le réalisateur fait écho à la situation politique qui fait rage en Hongrie, où le gouvernement d’extrême droite a adopté une politique de discrimination. Dans White God, les chiens qui ne sont pas de « pure race » sont traqués, enfermés et tués et reflètent dans une certaine mesure la condition des Roms et des étrangers. Mais les chiens se révolteront, organisés en une véritable armée qui viendra s’attaquer à ceux qui les ont fait souffrir. Cela fait alors écho au film Spartacus, où Kirk Douglas, tout comme Hagen, se transforme en machine à tuer pour le plaisir des badauds dans l’arène aux gladiateurs. L’esclave devenu libre s’échappe et prend la tête de la révolte des exclus. White God est également une référence aux Oiseaux de Hitchcock, même si on ne s’explique pas le comportement des animaux à plumes contrairement aux bêtes à quatre pattes conduites par Hagen. 

White God se finit par une splendide scène qui regroupe la meute des chiens, apaisés par le chant de la trompette de Lili. Qu’adviendra-t-il d’eux ? Le réalisateur nous laisse à nos pensées, mais conclut un film des plus impressionnants. White God nous prend à la gorge dès la première seconde, sans nous lâcher, même à la fin du générique. 


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