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Des classiques pour la justice sociale

L’OSA joue Mozart et Beethoven pour promouvoir l’alphabétisation des Québécois.

Fondation pour l'alphabétisation / E. Nouel

Le concert l’ABC de la Musique, c’est la musique classique qui s’engage pour lutter contre les inégalités sociales et l’éducation. Mercredi 11 mars, la Grande Bibliothèque (BAnQ) a prêté son grand Auditorium à la Fondation québécoise pour l’alphabétisation (FQA) et à l’Orchestre Symphonique de l’Agora (OSA), qui se sont associés pour défendre la cause de l’alphabétisation au Québec. En jouant une symphonie concertante de Mozart et la symphonie Eroica de Beethoven, l’OSA a choisi des valeurs sûres pour amasser des fonds.

Devant une salle remplie de moitié, les jeunes musiciens de l’OSA s’installent tranquillement sur la scène, puis un hôte introduit Salomé Corbo, la présidente d’honneur du concert et porte-parole du programme pour l’alphabétisation, qui explique l’envergure de sa cause au Québec : plus d’un million de Québécois peineraient à lire. La Fondation québécoise pour l’alphabétisation, fondée en 1990, cherche à promouvoir l’alphabétisation chez les adultes en distribuant des livres et en favorisant leur retour en formation. D’une façon poétique et quelque peu surfaite, la porte-parole dénonce les inégalités dont elle est témoin dans son travail avant de faire l’éloge de la lecture. « Ils ne peuvent pas lire leurs feuilles d’impôts, leurs contrats d’assurance, ou même une simple lettre d’amour », déplore Mme Corbo. Après sa longue introduction, Mme Corbo rend la scène à l’orchestre et surtout à Nicolas Ellis, jeune chef d’orchestre et pianiste, diplômé de McGill. Âgé d’une vingtaine d’années seulement, il est aussi le directeur artistique et le fondateur de l’OSA, qui est le premier orchestre du Canada à jumeler la musique classique et l’économie sociale. En effet, créé en 2011, l’OSA est un organisme à but non lucratif dont les concerts visent à amasser des fonds pour différentes causes humanitaires, environnementales ou sociales. 

Intimité coquine avec Mozart

Le chef d’orchestre s’installe au clavecin et entame le premier mouvement de la symphonie concertante en mi bémol majeur K. 364 de Mozart. Écrit entre 1777 et 1779, ce chef‑d’œuvre de Mozart entre symphonie et concerto met en vedette deux solistes, rappelant le concerto grosso baroque. Sur trois mouvements, Allegro Maestoso, Andante puis Presto, pièce est jouée par vingt musiciens, joints par deux solistes et le chef d’orchestre au clavecin. Les deux solistes, Patrice Calixte au violon et Mathilde Bernard à l’alto (elle moins à l’aise que lui), se prêtent habilement à un jeu coquin aux résonances aiguës et au tempo enjoué en mariant le timbre du violon à celui de l’alto, notamment dans le lyrisme du second mouvement. 

Cette symphonie laisse entendre certains traits stylistiques de la symphonie concertante viennoise, conservant la structure tripartite classique. Elle joue sur l’équilibre entre l’intimité et la grandeur que l’OSA a su trouver. Les solistes se font une bise après avoir fini leur délicat duo. Entracte. 

Frissons chez Beethoven

Après une pause, la troisième symphonie de Ludwig van Beethoven est introduite avec un peu d’histoire. Nicolas Ellis explique que la symphonie Eroica a été écrite entre 1803 et 1804, dans un contexte militaire tendu, entre batailles franco-prusses, une admiration de Beethoven pour Napoléon et une Europe anxieuse. Salomé Corbo se donne un grand plaisir à lire, d’abord, des extraits d’une lettre de Beethoven, furieux à la nouvelle de l’auto-couronnement du Premier Consul. Elle raconte que Beethoven, désillusionné par Napoléon, a déchiré la première page de sa symphonie en criant qu’il ne serait qu’un « tyran comme les autres ! » La page dut être recopiée et dédiée à quelqu’un d’autre. Ensuite, Mme Corbo enchaine avec une lettre de Ferdinand Ries, élève de Beethoven, qui dénonce les tensions politiques et les temps difficiles dans lesquels la symphonie Eroica est jouée chez les aristocrates. Colossale et tonnante, la symphonie marque un tournant et entame l’ère romantique. Elle évoque la lutte et la solution héroïque d’un conflit harmonique. À l’image de Napoléon, à qui Beethoven avait initialement dédicacé la symphonie, le chef d’orchestre dirige son orchestre comme on dirigerait une armée dans la bataille. Deux accords brefs et théâtraux en mi bémol majeur introduisent l’œuvre, avant la première exposition du thème principal « héroïque » aux violoncelles puis aux violons. Le deuxième mouvement est une marche funèbre qui rappelle les temps durs mentionnés dans la lettre lue par Salomé Corbo. Avec précision, malice et force, le chef d’orchestre assigne, entres autres, aux violons, aux altos, aux flûtes et aux clarinettes d’attaquer de front alors que les contrebasses et les cors suivent le rang, avec puissance. Au fond, les timbales tonnent sous la poigne d’un batteur hip, apprêté d’un costume noir et blanc et d’un chignon. Vibrante et grandiose, la symphonie Eroica achève les musiciens en trois mouvements, dont le dernier est d’une telle force qu’il supplante l’importance du premier. Leur performance donne des frissons. Après un peu moins de deux heures de représentation, sous les applaudissements et quelques « Bravo ! », le chef d’orchestre salue le public, sort puis revient, remercie l’orchestre et s’en va. 

Tous les dons seront versés au profit de la Fondation québécoise pour l’alphabétisation. Et Salomé Corbo de préciser qu’elle rêve que la FQA n’existe plus et que l’on n’ait plus besoin de son aide et que tout le monde sache lire. La porte-parole idéaliste remercie tout de même le public de donateurs, puis tout le monde s’en va. L’OSA s’engagera pour de nouvelles causes, et il est fortement conseillé d’aller le voir.


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