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Auteure cherche lecteur compréhensif

Claire Legendre dévoile les angoisses qui contrôlent sa vie.

Luce Engérant

« Nous cultivons en nous-mêmes les monstres qui nous dévorent », écrit Claire Legendre dans son nouveau livre publié chez Les Allusifs. Le petit livre d’une centaine de pages est sorti en janvier 2015, né d’une idée de créer une collection sur les peurs, imaginée par Jean-Marie Jot. Entre essai et récit, Le Nénuphar et l’araignée est un inventaire des peurs, une réflexion sur ces angoisses qui façonnent le comportement. En partageant ses propres faiblesses, l’auteure, professeure de critique littéraire à l’Université de Montréal, examine sa vie d’hypocondriaque, de paranoïaque, de superstitieuse, ou tout simplement d’une personne comme les autres.

Vivre otage de ses peurs

En trente-cinq courts chapitres, Claire Legendre raconte les expériences déterminantes de sa vie : ses jeux d’enfance, ses rêves de jeunesse, ses histoires d’amour, sa peur des insectes, ses déménagements… Elle relie chaque souvenir à une angoisse. Particulièrement affectée par la peur que l’on envahisse son intimité, l’auteure résume son inventaire dans l’analogie entre l’hypocondrie et l’arachnophobie, une métaphore dans laquelle elle compare ses organes malades à des insectes (d’où le titre qui joint l’araignée au nénuphar, mot que l’auteure utilise pour désigner sa maladie du poumon). L’auteure rappelle l’ironie tragique qui frappa Œdipe, et souligne ainsi la peur de ne pas contrôler son destin, de découvrir des parasites comme obstacles à sa finalité : un insecte dans les draps, un amant dans le placard ou un cancer du poumon l’angoissent parce qu’ils la prennent par surprise. Pour elles, les maladies envahissent le corps de la même façon vicieuse que l’araignée apparait dans un coin de la maison, ce qui la rend hypocondriaque. Elle se retrouve à avoir peur de trouver des maux avant même d’en avoir, provoquant ainsi elle-même des symptômes.

Confession intime

Dans un style très simple et direct, Claire Legendre se dévoile en examinant son for intérieur et exclut le monde de son récit, qui ne concerne qu’elle, ses jalousies, ses maladies, ses peurs et ses espoirs. Elle n’abandonne son corps que lorsqu’elle raconte un séjour à l’hôpital. Dans ce chapitre bouleversant, l’auteure décrit la plus grande invasion d’intimité que l’on puisse vivre, expérience si aliénante qu’elle utilise la deuxième personne du singulier pour parler d’elle-même. Elle se tutoie, comme si elle avait été sortie d’elle-même, se résignant à l’hôpital à être traitée comme un objet et non plus comme un sujet, abandonnant son contrôle sur son propre destin au savoir des infirmières et du chirurgien. Le récit devient général et impersonnel, comme pour rappeler l’aspect procédural et public d’un séjour à l’hôpital.

Remèdes

Tout au long du récit, Claire Legendre mentionne différents types de remèdes, comme les anxiolytiques qui couvrent les peurs sans nécessairement les faire disparaître. Garder un coup d’avance est le moyen le plus sûr de ne pas être surpris par l’araignée, la maladie ou la trahison. Ainsi, ses peurs se traduisent en besoin de contrôler, d’organiser, de rationaliser sa vie. Écrivaine, Claire Legendre raconte donc qu’elle a fini par transformer sa vie en chantier de livre, dans lequel tout contribue à une totalité signifiante, ce qui lui permet aussi de transformer ses malheurs en lyrisme et la mort comme finalité. L’auteure en accuse l’orgueil démiurgique du romancier. Il semble que cet inventaire soit un remède pour Claire Legendre, qui consacre son dernier chapitre à une liste exhaustive de ses angoisses, terminant par la peur de ce que le lecteur pensera d’elle.

Même si son écriture est simple sans trop de charme, Le Nénuphar et l’araignée est touchant par sa sincérité et le dévoilement intime qu’il offre. L’auteure se détache de son orgueil et se révèle entièrement pour trouver la source de ses plus grandes faiblesses, mais aussi pour proposer une réflexion sur la psychologie des relations sociales. Dans ce que l’auteure appelle « une génération occupée à mesurer sa vitesse d’autodestruction », ce serait par peur de se détester soi-même que l’on se met à détester les autres.


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