Aller au contenu

De l’autre côté du miroir

Petit voyage dans le monde fourmillant des films d’animation canadiens.

Luce Engérant

Mis à part, peut-être, les documentaires animaliers et la voix de Chet Baker, il semblerait qu’il existe peu de choses aussi relaxantes que les dessins animés du site de l’Office national du film du Canada (ONF). Vous serez surpris de constater, entre deux readings, comme les archives des plus ou moins courts métrages de l’ONF offrent à vos meilleurs outils de procrastination une alternative des plus rafraichissantes. On n’y pense pas forcément mais le monde de l’animation recèle de petites perles qui, si l’on garde l’esprit ouvert, peuvent nous emmener vers des contrées insoupçonnées.

Une fois pris au jeu, on ne se lasse pas de revoir des petits classiques canadiens comme Le Chandail de Sheldon Cohen ou La tendre histoire de Cendrillon pingouin, version décalée des années 1980 où le conte sacré dont on commençait à oublier l’existence est animé par des manchots dans une ambiance insolite, presque mystique. Dans un registre tout autre, les séries Poets on Film adaptent en dessin les œuvres de grands poètes comme Leonard Cohen ou James Reaney, une façon créative de rendre la poésie accessible à un public plus large et de le sensibiliser, en images, à la culture canadienne. 

Une des particularités des films d’animation, c’est qu’il est possible de tout exagérer : les couleurs, les formes, les démarches peuvent se plier aux volontés des créateurs et sont totalement malléables. Contrairement à d’autres domaines d’art comme le cinéma, chaque détail est imaginé, façonné et animé, éclipsant ainsi le réalisme des images photographiques qui se voit remplacé par une certaine forme de familiarité. Les films d’animation sont encore souvent assimilés aux dessins animés qu’on regardait, enfant, à la télévision, et on les confine parfois à cette catégorie qu’ils ont pourtant déjouée, contournée et distancée au moins autant de fois qu’il en faut pour s’en affranchir complètement.

En ce qui concerne L’affaire Bronswik – nominé au festival de Cannes en 1978 –, c’est une autre forme de mélange que nous propose l’ONF. Les réalisateurs Robert Awad et André Leduc se sont amusés à assembler des archives de films avec des dessins pour former un court métrage aux allures de magazine découpé qui se moque des documentaires sensationnels. L’affaire commence en 1964 lorsque Mme Gaumont, M. Zicar, et toutes sortes de citoyens lambda sont victimes des ondes maléfiques des téléviseurs Bronswick et se mettent à acheter en quantités déraisonnables des articles dont ils n’ont absolument pas besoin. À travers de fausses entrevues, un humour pince-sans-rire et une histoire montée de toutes pièces, les deux coréalisateurs nous mettent en garde contre les dangers de la publicité. Ironie du sort : Robert Awad a un jour confié à Radio-Canada que la moitié des visionneurs ont réellement cru à cet appel au second degré.

Au cours de son histoire, la sphère du film d’animation canadien s’est aussi mêlée à celle du film expérimental, toutes deux à la recherche de nouveaux effets spéciaux. Ainsi, les films de Norman McLaren Il était une chaise, ou l’énigmatique Voisins – qui reçut un oscar lors de sa sortie en 1952 – utilisent de nouvelles techniques d’animation telles que la pixilation. Découvert par l’auteur du premier dessin animé de cinéma James Stuart Blackton, cet effet parvient à filmer des acteurs ou objets image par image, pour ensuite donner une illusion de mouvement ou déplacement impossibles dans la vie réelle. Encore utilisée aujourd’hui, c’est entre autres à cette technique que l’on doit l’impression de magie que certains films provoquent chez le spectateur. 

Maintenant que vous avez à votre disposition un moyen simple et efficace de retomber en enfance, prenez garde, car une fois entré dans le labyrinthe de l’animation, la légende raconte qu’il est très difficile d’en sortir.


Articles en lien