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De la satire ad nauseam

Dans la République du bonheur, ou comment mêler le déjà-vu au complètement déjanté.

Placedesarts.com

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’écriture dramaturgique de Martin Crimp ne fait pas dans la subtilité, ce que la mise en scène de Christian Lapointe s’est fait un plaisir d’accentuer dans Dans la République du bonheur à la Cinquième Salle. Dès l’ouverture du rideau, tous les éléments sont déjà en place pour articuler une critique acerbe de la société de surconsommation, tandis que les spectateurs découvrent un décor kitsch de Club Med – avec piscine gonflable, appareil de musculation, chaises longues, minibar et mini-golf – dans lequel une famille s’apprête à fêter Noël.

Nous découvrirons plus tard que leurs vêtements correspondent à l’accoutrement de poupées Barbie, qui se verront projetées sur un écran où elles entameront un chœur dans lequel elles affirmeront les libertés individuelles du citoyen moderne. Dans la « république du bonheur » — une contre-utopie qui cache à peine sa satire des sociétés occidentales contemporaines —, chaque citoyen a le droit de se faire scanner par l’État en allant à l’aéroport ; de vivre un traumatisme pour en parler dans des talk-show ; de se doper aux médicaments pour oublier son angoisse ; d’inspecter sans cesse ses aliments et son corps en espérant prolonger indéfiniment son existence, et bien sûr, de satisfaire sa libido avec n’importe qui en répétant « j’aime écarter les jambes », et surtout « il n’y a rien de politique au fait que j’aime écarter les jambes ».

Ce type d’humour était, de manière générale, plutôt bien assumé. Pour ajouter à l’esthétique du ready-made qui envahissait les propos des personnages au même titre que les décors, cette pièce offre également une parodie réussie du genre de la comédie musicale en entrecoupant les diatribes des poupées/personnages d’intermèdes lyriques. Accompagnés de rythmes électro ou d’une guitare classique, les membres de la famille prennent à tour de rôle le micro pour exprimer gaiement leurs ambitions ou leurs désirs. Là encore, il ne faut pas s’attendre à ce que ces chansons révèlent une fragilité émotive susceptible de nous faire sympathiser avec les « problèmes » de ces poupées gonflables. Il est pourtant curieux de constater que ces scènes ont constitué les moments dans lesquels les personnages sont parvenus à susciter le plus l’adhésion du public, réitérant ainsi, a contrario, le succès éternel de ce « monstre sacré » du théâtre commercial qu’est le musical.

Ambitions, désirs, angoisses : tout se résume à l’argent. Même la grand-mère (Denise Gagnon) n’hésite pas à décrire le plaisir qu’elle éprouve à prendre le taxi pour aller faire l’épicerie, tout en sachant qu’elle paye davantage pour cette course de deux minutes qu’un clochard ne le fait en une heure de mendicité. Pour leur part, déguisées en pom-pom girls, les jeunes filles gâtées de la famille partagent leur plan de vie qui est d’épouser un gars riche qui les traitera de « bitch ». Enfin, la grande gagnante de cette parade de la superficialité est incontestablement la femme de l’oncle Bob (Eve Landry) qui chante quant à elle, en perruque blonde et en robe de soirée, son rêve de vivre dans une de ces communautés gardées sous une surveillance permanente, où les gens ne  sont jamais « trop deep ».

Pour couronner le tout, les personnages ne cessent de répéter des mises en garde à la critique féministe, marxiste et psychanalytique qui s’efforcerait de replacer leurs discours dans le cadre d’une critique de la société, en clamant que leurs paroles ne devraient pas être interprétées comme voulant dire le contraire de ce qu’elles prétendent affirmer. Que peut-on faire face à un tel grossissement de tous les travers qui grugent nos démocraties basées sur les droits des citoyens… sinon taper des mains en répétant à notre tour le refrain accrocheur : « il n’y a rien de politique » ?


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