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Multilinguisme canadien

Orchestrer langue officielle et diversité culturelle.

Luce Engérant

« Multiculturelle », « internationale » et « accueillante » sont les mots que j’avais l’habitude d’utiliser pour qualifier Montréal. En effet, une grande partie des gens que j’avais rencontré ici, via McGill ou par d’autres biais, venaient du monde entier. Quant à ceux qui étaient nés à Montréal, beaucoup étaient issues de familles immigrantes.

Pourtant, il n’a fallu que quelques heures de bus pour me convaincre que si ma perception n’était pas complètement erronée, je devais au moins la mettre à l’épreuve en comparant Montréal avec une autre grande ville canadienne : Toronto.

En venant de Montréal, et donc du Québec, il était difficile de ne pas être marqué par des publicités dans toutes les langues affichées dans le métro de Toronto. La série de publicités pour la Banque de Montréal à la station Yonge était particulièrement saisissante. L’emplacement n’était pas anodin puisqu’il s’agit d’un carrefour important du centre-ville, parfois même appelé le Time Square de Toronto. À cette station donc, en attendant sagement un subway, je me retrouve face à plusieurs publicités écrites respectivement en hindi, hébreu et arabe. Ne parlant “que” français et anglais, je me retrouvais devant l’inconnu. Et ça faisait du bien ! Non seulement parce que cela réjouissait ma curiosité, mais aussi car – on l’oublie parfois – le Canada est une terre d’immigrants dont les cultures méritent d’être célébrées.

Cette scène illustre de façon intéressante les différences entre les approches du Québec et de l’Ontario dans leur façon de traiter des identités issues de cultures multiples, – qui peuvent sembler conflictuelles – au service d’une identité plus large les englobant.

Québec : Se distinguer pour s’identifier

Une identité, qu’elle soit ethnique, religieuse, linguistique ou tout simplement citoyenne, rassemble ceux qui s’y retrouvent, mais sépare aussi. On se définit en contraste de l’autre.

Le Québec semble appliquer cette idée en utilisant le français comme force de rassemblement mais aussi comme moyen de se différencier du reste du Canada. La langue y assure une certaine cohésion sociale, par une communication facilitée, mais aussi par la culture qu’elle véhicule. Mais la réalité est un peu plus compliquée : en demandant à un ami s’il se considérait Québécois, celui-ci m’a répondu qu’il préférait se considérer Canadien car pour lui, le terme Québécois évoquait un conflit, une séparation avec laquelle il n’était pas en accord. Loin de moi l’idée d’insinuer que son avis représente une majorité, mais il soulève bien un problème : si l’identité du Québec semble plus facile à définir, elle est aussi plus facile à rejeter.

Ontario : le multiculturalisme comme dénominateur commun

L’Ontario – du moins sa plus grande métropole –, en revanche, trouve son identité dans le tomber des barrières, et l’absence d’une langue enseignée de force à ses immigrants. Certes, l’anglais permet des rencontres et la communication entre tous les torontois, mais quelques minutes dans Greektown ou Chinatown suffisent pour se rendre compte que cette langue n’est pas aussi nécessaire que le français l’est au Québec. L’anglais y est un outil qui permet à une multitude de cultures de cohabiter, mais pas nécessairement de se retrouver.

Peut-on alors tout de même parler d’une identité commune ? Je le crois. Car c’est cela, le multiculturalisme dont le Canada se vante. Toutes ces personnes venues d’ailleurs ne partagent pas nécessairement quelque chose de concret comme l’ethnie, la religion ou la langue, mais ils partagent cette conception que c’est peut-être ça, être Canadien : être accueillant, ouvert d’esprit et non pas avide d’imposer une vision unique à toute une population. Ils ne se retrouvent pas à travers une langue à l’identité forte, mais à travers la culture selon laquelle toutes les langues sont valorisées.

Amoureuse inconditionnelle de la langue française, je comprends pourquoi le Québec a eu besoin de la loi 101 et des autres mesures qui ont eu pour effet de faire taire les langues étrangères qui y résonnaient : cela a permis de faire survivre une langue en danger. Je ne peux pourtant pas m’empêcher de rêver au jour où le français et l’identité québécoise seront suffisamment établis pour que Montréal n’ait plus peur de s’adresser à ses habitants dans une langue qui valorise leurs différences.


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