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Portrait du mutin Snowden

Raconter au prix d’une vie.

Cécile Amiot

Edward Snowden est l’ancien agent de la CIA qui, l’an dernier, a levé le rideau sur le scandale des écoutes de masse de l’Agence nationale de sécurité (NSA) aux États-Unis. Son père le décrit comme un « jeune sensible et attentionné », un « intellectuel » (Le Figaro). Mais dans la presse il prend une tout autre envergure : il est décrit comme étant « l’homme le plus recherché du monde » dans Wired, ou comme celui « qui fait trembler le gouvernement américain » dans le journal français Le Figaro. On connaît tous son visage doux, ses lèvres fines, son regard à la fois perdu et déterminé au-dessus de ses lunettes. Le monde entier se demande où le trouver : sa dernière étape connue est la ville de Moscou, puis Snowden a (physiquement) complètement disparu.

Sa carrière aurait pu être glorieuse dans les services secrets américains. Snowden a un parcours en chemin de chèvre, inattendu. Il entame des études d’informatique, qu’il ne termine pas. Il s’engage ensuite dans l’armée, mais une fracture des deux jambes le force à abandonner ses rêves de forces spéciales. À la place, il devient agent de sécurité à la NSA. Ses prouesses en informatique le catapultent en charge de la surveillance des technologies de l’information à la CIA. Il grimpe vite les échelons, passe quelques années en Suisse, puis quitte la CIA pour un sous-traitant de la NSA, au Japon, puis à Hawaï. 

C’est là qu’il commence à prendre la mesure de l’extension de la surveillance de la NSA. Comme il l’explique au Guardian : « Assis à mon bureau, je pouvais mettre sur écoute n’importe qui, de vous ou votre comptable, à un juge fédéral ou même le président si j’avais son courriel personnel ». « Nous collectons plus d’informations numériques en Amérique que nous n’en prenons aux Russes » ajoute-t-il.

L’idée de lancer l’alerte lui trotte dans la tête pendant un moment, mais il décide d’agir le jour où il se rend compte, au cours d’une conversation avec ses collègues, de ce qu’il appelle la « banalité du mal », mots empruntés à Hannah Arendt. Ce jour-là, un haut fonctionnaire avait nié devant la presse que la surveillance des services secrets s’étendait aux citoyens américains. Snowden avait été le seul au bureau à s’indigner.

Face à une découverte d’une telle envergure, sûrement peu auraient eu le courage de tenir tête aux États-Unis. 

Snowden se lance alors dans l’arène et s’entoure pour ses révélations de plusieurs journalistes américains dont Glenn Greenwald du Guardian et de la documentariste Laura Poitras. C’est au cours d’une rencontre en catimini à Hong Kong qu’il leur confie ce qui ne semble être qu’une petite partie de ce qu’il a subtilisé à la NSA. La bombe est lâchée, le scandale se propage. 

On estime à 1,7 million les documents volés ; Snowden assure en avoir pris beaucoup moins. Il est accusé d’espionnage, et pourtant, le jeune homme a pris soin de laisser des traces digitales, de façon à ce que la NSA sache exactement ce qu’il avait pris. C’était un avertissement voulu, un manque de discrétion nécessaire à sa mission. « Si le gouvernement ne représente pas nos intérêts », se justifie-t-il dans le portrait que le Wired a fait de lui, « c’est au public de les protéger ». À l’entendre, Snowden considère qu’il a fait ce qu’il devait faire : donner le coup de sifflet. Il semble prêt à sacrifier sa liberté au nom de la vérité. Il dit avoir communiqué au gouvernement américain qu’il se « portait volontaire pour faire de la prison, tant que cela aurait servi la bonne cause ». Malgré son absence physique, Edward Snowden reste sous les projecteurs : le 24 octobre dernier est sorti en salle le documentaire de Laura Poitras sur leur première rencontre à Honk-Kong et un film d’Oliver Stone se prépare pour 2015.


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