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Hamlet métamorphosé

Entrevue avec le metteur en scène Martin Tulinius.

Miklos Szabo

La première représentation de The Tiger Lillies perform Hamlet aura lieu demain, à la Cinquième salle de la Place des Arts. On dit que c’est un cabaret déjanté, « brilliantly twisted », selon le journal britannique The Guardian, qui réunit un groupe de musique et une troupe de comédiens dont les performances physiques ont été qualifiées de sensationnelles. Trépignant d’impatience, Le Délit a eu la chance de recevoir, en avant-première, des réponses du metteur en scène de cette réinterprétation audacieuse du drame de Shakespeare par le Théâtre République de Copenhague.

Le Délit (LD): Pourquoi remettre Hamlet sur les planches aujourd’hui ? 

Martin Tulinius (MT): Je pense qu’il est essentiel de raconter l’histoire existentielle d’Hamlet aujourd’hui parce qu’elle saisit l’essence de l’existence humaine et révèle la part obscure de nos vies que nous avons tendance à cacher dans notre subconscient lorsque nous n’arrivons pas à y faire face. Nous vivons à travers les médias sociaux comme Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat, etc. qui nous incitent à afficher une surface lisse, une vie parfaite qui ne comporte aucune place pour l’échec. Cette vie est superficielle et n’a rien à voir avec la réalité. Le Hamlet de Shakespeare peut nous rappeler à quel point la vie est fragile, qu’elle a ses nuances et que tout n’est pas parfait. Notre réalité est aussi colère, poésie, pensées profondes, suicide, solitude, vieillesse, vie et mort. 

LD : Reprendre des classiques avec une nouvelle interprétation visuelle, pensez-vous que cela les rende plus accessibles ?

MT : Je souhaitais mettre en scène Hamlet de telle sorte que l’histoire soit racontée par un théâtre corporel avec de la musique et des effets visuels qui parlent à nos cœurs et ouvrent d’autres portes de la perception. Je pense que c’est la clé de l’ouverture d’esprit. Mettre en scène une version classique et historique d’Hamlet, ou de Shakespeare en général, distancie nos sentiments et donc la compréhension que nous pouvons avoir des personnages. Les plus fortes et belles performances sont celles qui créent une connexion avec le public ; le théâtre n’est alors plus uniquement intellectuel mais aussi émotionnel. 

LD : Avez-vous l’impression qu’il y a un manque sur la scène culturelle que vous essayez de combler avec votre spectacle ? 

MT : Je pense que, trop souvent, on essaie de rester politiquement correct au théâtre. Mais à qui voulons-nous plaire ? Aux critiques, à l’audience ou à Shakespeare ? Shakespeare était lui-même un rebelle qui a passé sa vie à repousser les limites de son temps. Pourquoi ne ferions-nous pas la même chose aujourd’hui ? Je pense que c’est le rôle de l’art contemporain et du théâtre ; c’est pourquoi je travaille avec différentes formes d’art pour faire ressurgir les différents aspects de la communication et de l’histoire. Le personnage d’Ophélie, par exemple, s’est vu ajouté plusieurs scènes dans l’optique de souligner sa relation amoureuse avec Hamlet. Nous la montrons avec une force encore plus grande qui permet de comprendre comment son histoire peut avoir une fin aussi fatale. 

LD : Vous avez entrepris une aventure d’échelle internationale : pensez-vous que la réception en est facilitée par l’usage de musique, de vidéo et d’acrobaties ? 

MT : Je ne crois pas qu’il soit possible d’exporter une pièce dans sa forme traditionnelle. Quand nous avons joué à Londres, j’ai été surpris de l’accueil favorable que nous avons reçu. L’idée d’apporter la pièce la plus célèbre de Shakespeare à Londres m’effrayait jusqu’au plus profond de mon âme. Mais je pense qu’il faut un regard étranger pour voir Hamlet sous un nouvel angle et je ne pense pas que nous aurions été invités si nous avions monté une version qui avait déjà été vue et revue. L’aventure internationale que nous entreprenons n’aurait jamais été si nous n’avions pas une interprétation unique d’Hamlet, une version avec de la musique, des vidéos et un théâtre corporel. 

LD : Pensez-vous que cette mise en scène dépasse les limites du langage, que l’impression qui accompagne l’expérience du public suffise à transmettre le message clé que vous avez perçu d’Hamlet ?

MT : Je l’espère ! Dans les différents pays où nous avons joué, les spectateurs avaient plus ou moins connaissance du texte anglais initial. Pourtant, la pièce semble avoir un grand impact même sur ceux qui ne comprennent pas chacun des mots. Je crois que la qualité de cette pièce repose sur l’interprétation du texte avec une telle diversité de formes artistiques que nous parvenons à toucher le public.


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