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« J’aurais essayé de bloquer ça »

Entretien avec un ténor du PLQ sur la renégociation de l’entente d’éducation de 1978.

Julia Denis

Député PLQ de Verdun pendant 25 ans et ancien ministre québécois, Henri-François Gautrin est arrivé de France au Québec à 14 ans. Il a étudié à l’UdeM, à McGill puis en France avant de devenir professeur de physique à l’UdeM.

Le Délit (LD):Vous avez été un étudiant français au Québec à l’Université de Montréal et à McGill, un étudiant du Québec en France, un professeur à l’UdeM, un homme politique québécois impliqué dans les questions d’éducation et de francophonie ; comment avez-vous perçu l’évolution de la relation franco-québécoise en matière d’éducation ?

Henri-François Gautrin (H.-F. G.): Dans notre relation d’éducation il y a eu un grand changement. Dans les années 1960, quand on a passé les accords d’éducation entre la France et le Québec, il y avait beaucoup plus d’étudiants du Québec qui étudiaient en France, que de Français qui étudiaient au Québec, particulièrement au niveau des deuxième et troisième cycles. La situation a évolué. J’ai été professeur de physique mathématique pendant 30 ans à l’UdeM. Les Français c’était occasionnel, pas systématique. Actuellement si vous regardez, c’est inversé. C’est pourquoi certaines personnes veulent remettre en question cet accord qu’on a passé à l’effet d’avoir une équivalence de coûts.

LD : Justement, en parlant de cette inversion de tendance et de la remise en question des accords bilatéraux, pensez-vous que cet échange est construit en défaveur des étudiants québécois en France ?

H.-F. G.: En France on ne paye pas les études, sauf dans les grandes écoles privées. Et elles ne sont pas seulement payantes, elles sont sur concours. Vous n’arrivez pas rue Saint-Guillaume [Sciences Po Paris, ndlr] comme ça ! Et puis d’une part il y a eu une perte de prestige, et de l’autre, les deux grandes sources de bourses au Québec ont restreint considérablement les possibilités d’aides pour étudier à l’étranger.

LD : Denis Vaugeois [historien, homme politique ayant œuvré dans l’éducation, et premier directeur général des relations internationales du Québec de 1970 à 1974] a affirmé, en parlant des étudiants français au Québec, que « ces étudiants ne sont pas un problème, c’est plutôt un investissement. […] Ce sont des candidats extraordinaires à l’immigration. Ils sont bien formés et s’intègrent parfaitement. Au fond, c’est le Québec qui est gagnant ». Que pensez-vous de l’intérêt pour le Québec de cette coopération sur l’éducation ? 

H.-F.G.: Oui absolument ! Il a parfaitement raison ! Et ça ne s’applique pas forcément qu’aux Français, ça s’étend à tout le monde. D’où l’intérêt que McGill a, du fait d’avoir autant d’étudiants de l’extérieur. Les étudiants étrangers sont les meilleurs ambassadeurs que vous pouvez avoir pour le Québec.

C’est un investissement important car la formation, ce n’est pas seulement les cours que vous suivez, mais aussi les gens avec qui vous interagissez. Et, voyez-vous, la communauté européenne l’a compris avec le programme Erasmus. Et le fait que vous puissiez avoir des gens de pays différents, de milieux différents, c’est un plus dans votre formation. C’est le lead qu’on doit avoir comme principe pour défendre ces accords : les étudiants français ici au Québec bénéficient aux petits québécois dans la mesure où ils permettent la diversification de la culture.

LD : En vous entendant parler, on a l’impression que vous ne voyez ces jeunes que comme ayant vocation à venir étudier, enrichir le modèle d’éducation québécois, mais pas forcément s’intégrer et rester travailler.

H.-F.G.: Alors là c’est complétement faux ! Je ne suis plus au cabinet [du premier ministre québécois] aujourd’hui, mais dans nos discours d’il y a deux ans encore on voulait faciliter l’immigration des gens qui avaient un diplôme d’université québécoise. Nous avons une société qui vieillit vite, très vite. Alors les gens de votre génération vous êtes ce qu’on essaye d’attirer. Comme en France, on a réussi à infléchir notre indice de fécondité un peu mais on n’est pas encore rendus à un renouvèlement complet des générations. L’apport de l’immigration est important si vous voulez maintenir ce renouvèlement. Alors l’avantage d’avoir quelqu’un qui a étudié ici c’est d’avoir quelqu’un qui s’intègre beaucoup plus facilement. Les gens de votre génération venant d’un pays développé comme la France c’est quelque chose qui va être de plus en plus intéressant à faire venir et conserver dans un pays. 

LD : Mais justement on reproche parfois aux Français d’ici de mal s’intégrer à la société québécoise, à cause d’un certain problème colonialiste mal réglé, d’une tradition messianique, d’une prétention culturelle.

H.-F.G.: Très franchement je ne crois pas. Je pense indubitablement que ce sont eux qui s’intègrent le mieux. Statistiquement, les vagues d’immigrations françaises sont toujours importantes et constituent un apport constant. Et vous n’avez pas ici de ghetto français ! Alors les Français qui ne jouent pas le jeu de l’intégration ça arrive, c’est arrivé, ça arrive de moins en moins. Car ils sont de moins en moins capables de pouvoir critiquer les gens ici. Ce n’est pas tout de savoir manier le verbe, il faut avoir quelque chose derrière le verbe ! (rires)

LD : Certains comptent donc revenir sur cette coopération bilatérale en matière d’éducation. Le chef du Parti libéral québécois, Philippe Couillard, a défendu pendant sa campagne aux dernières élections provinciales que les étudiants français devraient payer autant que les étudiants des autres provinces canadiennes (ce qui « porterait de 2300  à 6300 dollars le coût moyen d’une année de premier cycle » selon Le Devoir). Il suggérait que la situation actuelle représente un réel manque à gagner. Qu’en pensez-vous ?

H.-F.G.: Ce serait une erreur de modifier ainsi ces accords ! Quand les gens ont un droit acquis, il est plutôt difficile de le leur retirer. C’est un très mauvais message que vous envoyez. 

Les effets économiques seraient probablement mineurs. Faire augmenter les frais de 4000 dollars ce n’est pas énorme. On est de l’ordre de quatre-cinq millions. Si vous jouez sur des budgets d’éducation, c’est relativement mineur.

LD : D’un côté l’ancien premier ministre français François Fillon disait en 2008 qu’il y a en chaque Français « un rêve québécois ». Et de l’autre, Charbonneau disait au lendemain de la guerre, en 1947, que le Québec ne comptait pour les Français qu’en temps de crise. Pensez-vous que ces étudiants français se pressent dans les universités québécoises et tiennent tant à ces accords, car ils voient un rêve dans le Québec, ou plutôt une solution à leur crise française ?

H.-F.G.: Pour beaucoup de Français, le seul gouvernement uniquement francophone hors de France reste quand même le Québec. C’est le seul pays dans lequel les gens peuvent venir sans problème de langue. Et ils peuvent retrouver la même chose : être à Québec et voir un boulevard Henri IV. 

LD : C’est donc un rêve pragmatique ?

H.-F.G.: Oui. Malgré tout, une langue reste un élément de communauté.

LD : Aujourd’hui, comment voyez-vous l’avenir de la relation franco-québécoise pour l’éducation universitaire ? 

H.-F.G.: Non seulement nous avons besoin de maintenir cet échange mais nous devons aussi insister sur la reconnaissance des diplômes. L’accord que nous avons passé récemment en 2007 (sous le cabinet de Charest), pour que dans les métiers protégés par une corporation il y ait possibilité d’équivalence. Le discours officiel était de dire : « on va avoir la possibilité de faire valoir son diplôme et travailler d’un pays à l’autre ». Vous savez nous les politiciens on a toujours tendance à faire des discours par rapport à la réalité. Cette mesure ne fonctionne pas encore tout à fait, avec la réticence des corporations ou encore la question pas si évidente des éléments d’éthique. Il faut l’améliorer. Mais il y a un côté sous-jacent à mon sens, il y a un lien direct entre ce principe de libre circulation des diplômés et celui de la formation.

LD : Et c’est un lien qui entraine quoi ?

H.-F.G.: Qui devrait maintenir en quelque sorte le statut privilégié que peuvent avoir les Français. Car cet accord pour les professions a seulement été passé avec les Français. Ça reste donc une relation privilégiée au niveau des professions, donc ça devrait maintenir une relation privilégiée au niveau de la formation.

LD : Bon, sincèrement, pensez-vous qu’elle va passer cette mesure pour que les étudiants français payent plus cher leurs frais universitaires au Québec ?

H.-F.G.: Très franchement, le problème c’est que je ne suis plus là, parce que j’aurais essayé de bloquer ça. Je sais qu’actuellement on cherche des sous partout, mais cette mesure c’est priver les Québécois d’un avantage. Si on souhaite supprimer cet avantage, il faut que le débat soit fait ici, au Québec, par les Québécois. Ça ne peut pas être à François Hollande de décider de ça.

LD : C’est quand même un accord bilatéral…

H.-F.G.: Oui, mais ce que je veux dire, c’est que l’avantage qu’on retire de ces accords, c’est aux jeunes Français de le démontrer.

LD : Vous pensez que la population québécoise le voit, ce fameux avantage ?

H.-F.G.: Non, très franchement non [répété quatre fois]. Le monde universitaire est tellement loin, la population ne se rend pas compte. Il faut que certaines personnes qui sont éduquées soient en mesure d’en être les porte-paroles.


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