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Entrer dans la carrière

Rencontre avec différents fantassins de la chose publique.

Luce Engérant

concilier l’action et le discours, être à la fois éthique et authentique, représenter son peuple : être politicien. Réconcilier les différents engagements de son supérieur, être à la fois son cerveau et son laquais, le représenter devant les hommes : être assistant parlementaire. Le programme est de taille, beaucoup d’appelés, peu d’élus. La fonction est essentielle. Pour éclairer ses tenants et ses aboutissants, Le Délit est allé rencontrer différents étudiants et jeunes professionnels, québécois, français et américains, impliqués dans la représentation politique.

Pourquoi s’impliquer ?

La question est banale, quoique primordiale. Pour Stéphane Stril, étudiant au baccalauréat en sciences politiques à McGill et attaché politique au bureau de circonscription de la ministre de l’Immigration (Mme Kathleen Weil), l’engagement est une évidence : « Dans une société démocratique comme la nôtre, tout est politique. Si l’on s’intéresse à l’avenir de notre pays, province ou société alors la politique est un passage obligé car c’est à travers elle que l’on peut modeler notre avenir. »

Selon Gabrielle Beaulieu, étudiante à la maîtrise en littérature et ancienne représentante jeunes du Parti Québécois de Laval-des-Rapides, il s’agissait d’un appel à se mesurer : « je désirais relever le défi de m’impliquer dans une communauté représentative de la situation québécoise en 2014, c’est-à-dire avec une population immigrante très forte qui me ferait voir d’autres horizons culturels. » 

Comme de bien entendu, l’engagement est porté par une certaine idée de la politique et un ensemble de valeurs. Contactée en France par téléphone, Camille Durand, collaboratrice parlementaire depuis un an auprès du député UMP (Union pour un Mouvement Populaire) de Lozère, Pierre Morel-A‑L’Huissier, explique son attrait pour la politique parce qu’elle « combine la géographie et l’économie, l’histoire et les relations internationales. C’est un monde qui m’a toujours tenté. Je m’intéressais beaucoup aux lois, à l’actualité et aux institutions, à la manière dont notre pays fonctionnait ». 

Au jour le jour

Le quotidien des collaborateurs parlementaires et des attachés politiques est sensiblement le même. Stéphane Stril avance que « la particularité du travail d’attaché politique c’est qu’il n’y a pas deux journées identiques. L’actualité politique façonne l’agenda. Deux choses reviennent cependant de façon quotidienne : la revue de presse et la période de questions. Visionner la période de question de l’Assemblée Nationale est un rituel pour les attachés politiques, c’est un moment essentiel afin de rester au courant des débats politiques du moment. Entre ces deux activités, les tâches varient grandement : rédiger des lettres ou des accusés de réception, traiter les demandes de subventions des organismes locaux, répondre aux demandes des citoyens, visiter des commerces ou des organismes communautaires en compagnie de la députée, etc. » Pour Camille Durand, les tâches se scindent en trois : le secrétariat, la communication et le travail législatif à proprement parler. Si elle se considère « potiche à 10%, secrétaire à 30% et politique à 60%», d’autres n’ont pas cette chance. Reggie Love, ancien aide de camp personnel de Barack Obama, avoisine plutôt les 90% potiche. 

 Larbin du président 

Rencontré le 23 septembre dernier, lors d’une conférence à l’ENAP (Ecole Nationale d’Administration Publique) organisée par le  Groupe d’études en relations internationales du Québec (Gériq), Reggie Love a été le « chief of stuff » de Barack Obama durant quatre ans et demi à la Maison Blanche. Après des études de sciences politiques à Duke University et un court passage chez Goldman Sachs comme stagiaire, Love est engagé avant la campagne présidentielle de 2008 comme assistant collaborateur parlementaire. À 23 ans, on lui propose de suivre Obama durant sa campagne, il accepte et durant deux ans, les deux vont parcourir les cinquante États de long en large, à raison de trois à quatre villes par jour, l’un faisant les discours et l’autre les valises. Larbin en chef du futur président des États-Unis, sa tâche consiste à s’occuper de tout ce qui est relatif à l’organisation logistique, par exemple « trouver des œufs et du bacon à six heures du matin ». Après l’élection, le rythme effréné continue, il n’est pas rare que les journées de travail avoisinent les dix-huit heures. 68 pays visités plus tard (et autant de listes de lecture pour l’iPod du président), Reggie Love quitte son poste pour retourner aux études. L’expérience lui a plu même s’il n’est pas certain aujourd’hui de vouloir se lancer dans l’aventure politique. 

« La distrayante politique française »

Dans une chronique de Stéphane Laporte publiée dans La Presse du samedi 4 octobre, l’humoriste dresse un tableau satirique des pratiques politiciennes françaises, lorsque comparées avec les nôtres, et les bons mots fusent : « Il y a plus de scandales en France que de baguettes de pain ». De façon concrète, certains commentaires de Camille Durand soutiennent fort bien cette critique : « C’est un milieu désabusant. Quand je suis arrivée [à l’Assemblée Nationale], les collaborateurs, les agents, tout le monde m’a dit ‘‘ici on fait les lois, mais on ne les respecte pas’’. J’ai l’impression de perdre mes idéaux et mes valeurs un peu plus chaque jour. À l’UMP comme au PS [Parti Socialiste], ce sont tous les mêmes. J’ai vent de toutes leurs magouilles financières. J’ai signé une clause de confidentialité qui me défend d’en parler, mais le système est pourri. Je me demande comment on peut vouloir rester en politique. » 

Doit-on alors être étonné que Stéphane Laporte prétende que « la politique française se suit comme un roman » et qu’il évoque coup sur coup, Balzac, Feydeau, La Fontaine et Amélie Nothomb ? En suivant les propos de Camille, on reconnaît en effet un côté très balzacien dans cette perte d’illusions qu’imposerait l’entrée en politique : « Je me suis dit en prenant le poste que je resterais jusqu’aux présidentielles, maintenant j’en doute. J’ai l’impression d’être une mégère à 23 ans. J’ai même une vision glauque de l’amour à force de tous les voir se taper leurs maîtresses dans leurs bureaux. Et pourtant je ne me pense pas naïve, mais le peu de naïveté que j’avais a disparu. »

Et peut-être est-ce là un caractère strictement national. Ce célèbre cynique de Flaubert écrivait dans une lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie que la France « est le pays le plus irritant du monde pour les honnêtes natures, et [qu’] il faut avoir une fière constitution et être bien robuste pour y vivre sans y devenir un crétin ou un filou ». Au Québec, les tensions à l’égard de la chose publique semblent moins cristallisantes d’après les témoignages de Stéphane Stril et Gabrielle Beaulieu. Stéphane Laporte, pour sa part, déplore le manque de « panache » que lui offre son théâtre politique national. Ces remarques générales sont peut-être l’effet du nombre ; plus la faune est nombreuse, plus il y a de lions. 

Avis aux intéressés

Pour entrer dans l’arène politique, « il faut être armé, parce que c’est un boulot rude » prévient Camille. Elle recommande aussi d’aller voir ailleurs. « Je pense qu’il faut aller travailler en entreprise. L’Assemblée [Nationale], c’est une bulle dorée ». Et c’est un des reproches les plus fréquents que l’on fait à la sphère politique : son décalage avec la réalité. Pour entrer dans la carrière, Reggie Love reste intraitable sur le comportement que doit adopter l’apprenti politicien : « il faut dire ‘‘oui’’ à tout, se donner de la valeur, se rendre indispensable, et surtout commencer le plus tôt possible. » Mais suffit-il d’entrer ?


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