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L’accueil des refugiés syriens

Le rôle que le Canada devrait jouer vis-à-vis des réfugiés est sujet à débat. 

Ian Afif

C’est en 2013 qu’Antonio Guterres, le haut commissaire aux réfugiés des Nations Unies, affirme dans un communiqué diffusé à Genève que « la Syrie est entrée dans la spirale d’une catastrophe absolue ». La crise qui sévit au Moyen-Orient depuis mars 2011 ne cesse d’empirer et cause chaque jour une augmentation impressionnante du nombre de réfugiés, internes comme externes. Depuis 2011, la Syrie figure parmi les pays recevant le plus d’aide humanitaire en provenance du Canada ; mais l’accueil des réfugiés semble peu développé encore aujourd’hui.

Une terre d’asile de l’autre côté du monde

Historiquement, le Canada a longtemps été considéré comme une terre d’accueil et d’opportunités. C’est d’ailleurs le pays qui a le plus haut taux d’immigration au monde par habitant, et la deuxième destination migratoire derrière les États-Unis, avec plus de 250 000 nouveaux arrivants par an. En plus d’être une terre d’accueil, le Canada est aussi une terre d’asile. Notre pays aura su répondre efficacement à plusieurs sollicitations de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) lors de crises humanitaires graves : un bon exemple serait l’évacuation rapide de Haïtiens par le Canada suivant le tremblement de terre de janvier 2010, qui aura permis à des milliers de personnes sans domicile de quitter leur pays dévasté (4 552 individus dans l’année de la catastrophe, puis 6 208 réfugiés en 2011).

Plus récemment, l’UNHCR a de nouveau fait appel à tous les pays en mesure d’accueillir des Syriens, et notamment au Canada, pour intervenir face à la crise humanitaire syrienne. Selon la revue Relations du Centre justice et foi, la situation y est extrêmement sérieuse : on estime à 6,5 millions d’individus le nombre de réfugiés internes et à 2,5 million le nombre de déplacés externes. Et cela ne semble pas se stabiliser : en effet, environ 130 000 Syriens auraient fui leur pays en direction de la Turquie ces derniers jours, ce qui représente le plus important mouvement de population depuis le début du conflit. La situation de ces réfugiés, internes comme externes, est très précaire. Dans le cas des émigrés vers les pays voisins, les Syriens sont victimes d’humiliations chroniques, de violence, de xénophobie. Les camps en Libye et en Turquie sont surpeuplés, et la situation sanitaire y est souvent très critique. Quant aux déplacés internes, ils sont peut-être ceux qui ont les conditions de vie les plus difficiles. Ils ne reçoivent que peu ou pas d’aide internationale et fuient constamment les conflits, n’étant jamais à l’abri de bombardements ou de violences.

 Depuis le début de la crise en mars 2011, le gouvernement canadien s’est engagé auprès de l’UNHCR à accueillir 1300 syriens sur son territoire. Un véritable soulagement pour la population syro-canadienne, heureuse de pouvoir rapatrier les familles en danger. Pour cela, le gouvernement a augmenté de 20% le budget réservé au financement de la réinstallation des réfugiés. Par ailleurs, depuis le début du conflit en mars 2011, le Canada s’est engagé à fournir plus de 630 millions de dollars à l’aide humanitaire apportée en Syrie et dans les pays voisins. Plus récemment, le premier ministre Stephen Harper a annoncé que 115 millions de dollars seraient ajoutés à ce programme d’aide. 

Un plan d’action décevant 

Si le Canada semble s’être investi rapidement et efficacement lors de multiples crises humanitaires, plusieurs sources — telles le quotidien Le Devoir — affirment que « le Canada décourage les réfugiés syriens » (février 2014), en réponse à plusieurs mesures récentes prises par le ministère de l’Immigration. À vrai dire, les chiffres et la relative inefficacité de la procédure d’accueil semblent assez décevants quand on sait que le Canada s’est longtemps targué d’accueillir plus de 10% de la population mondiale de réfugiés. 

En effet, le nombre de réfugiés qu’Ottawa a pris la responsabilité d’accueillir sur notre sol ne représente finalement que 1% des réfugiés que le UNHCR estime nécessaire de réinstaller en lieu sûr au cours des années 2014, 2015 et 2016. À titre de comparaison, la Suède a déjà « donné refuge à plus de 30 000 réfugiés », affirme Paul Dewar (député canadien) dans un discours au Parlement le 22 septembre 2014, ce qui illustre l’insuffisance des mesures d’aide aux réfugiés prises par le Canada. 

Et la procédure de demande d’asile pour ces quelques centaines de réfugiés est loin d’être optimale. La manière dont le gouvernement prévoit accueillir les Syriens d’ici la fin de 2014 accorde beaucoup d’importance au secteur privé. En effet, seulement 200 des 1300 réfugiés seraient pris en charge par le gouvernement (ce dernier financerait le coût de la fuite et de l’installation). Les autres devraient arriver par le biais d’organisations privées (auquel cas, ce sont des ONG, des groupes religieux ou des individus qui couvriraient le coût de la réinstallation). Cette procédure fondée sur le secteur privé présente plusieurs limites. Elle consiste en un système de parrainage, où seulement un résident canadien, ou une association, peut être à l’origine de la protection d’une famille syrienne. Ainsi, leur accueil ne dépend que du bon vouloir d’individus présents au Canada.

De plus, les délais du traitement de la demande sont très longs —environ 40 mois— et découragent donc beaucoup de familles qui se trouvent dans un état d’urgence.La première famille syrienne à être venue au Canada avec un statut de réfugié n’est d’ailleurs arrivée qu’en juin 2014.

D’autre part, le coût de la procédure est un obstacle pour les familles qui parrainent. En effet, les signataires de la demande de parrainage doivent verser un montant de garantie considérable, ce qui ralentit encore davantage le processus de rapatriement.

Enfin, ce programme est particulièrement restreint, compte tenu de la situation syrienne critique. Enbal Singer, membre du club de McGill B. Refuge, nous informe que le parti conservateur canadien, en voulant empêcher les fraudes liées à l’immigration, « pénalise finalement les réfugiés qui sont dans une situation moins facile à prouver que les réfugiés étant dans des camps ». En effet, la procédure d’asile mise en place ne s’applique qu’aux individus ayant quitté le territoire syrien, et donc ne concerne pas les 6,5 millions de déplacés internes en Syrie, qui pourraient bien être ceux dans le plus grand besoin d’être évacués. En plus de cela, cette mesure ne s’applique pas non plus aux réfugiés en Turquie, alors qu’aujourd’hui, c’est le pays accueillant le plus grand nombre de Syriens dans des camps de plus en plus débordés. Ainsi, à ce rythme, les objectifs promis par Ottawa ne pourront certainement pas être remplis, à moins d’assouplir ou d’accélérer les procédures. 

Ainsi, bien que le budget gouvernemental consacré aux aides humanitaires sur le terrain constitue tout de même une preuve d’investissement du Canada dans son aide apportée aux Syriens, le système d’asile du Canada ne semble pas répondre aux attentes mondiales concernant la crise syrienne. L’organisation privée du rapatriement des réfugiés paraît trop restreinte, et semble manquer d’efficacité ainsi que d’accessibilité. Pour répondre aux appels des Syriens dans le besoin cette année, le Canada devra revoir sa politique d’immigration et de protection des réfugiés, qui a déjà su faire ses preuves auparavant.


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