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La passion sublimée dans le sang

Being At Home With Claude marque la rentrée du Théâtre du Nouveau Monde.

Yves Renaud

Le Théâtre du Nouveau Monde démarre sa saison 2014–15 en célébrant les trente ans de création de Being At Home With Claude une oeuvre phare de René-Daniel Dubois. Créée en cinq jours, elle a connu un succès international retentissant. Elle est remontée pour la cinquième fois au Québec, sous la direction de Frédéric Blanchette. Après trente ans, l’histoire d’amour homosexuel passionnel qui constitue le fond de cette pièce policière demeure incontestablement contemporaine.

Nous assistons aux 80 dernières minutes d’un interrogatoire qui a déjà duré 36 heures. Un prostitué dénommé Yves (défendu par Benoît McGinnis) a tué son amant, puis s’est caché dans le bureau d’un juge de la Cour supérieure du Québec. Il avoue son crime aux autorités, mais refuse d’en révéler davantage. L’inspecteur (interprété par Marc Béland), exaspéré par l’absurdité de la situation, l’interroge sans répit pour saisir les motifs du crime. Les deux hommes sont exténués, la tension monte, jusqu’au moment où Yves fait un aveu fracassant. Il a tué Claude par amour. Au zénith de leur union, il a préféré tuer leur amour transcendant pour que sa pureté soit sublimée au lieu d’être effritée par le temps.

Deux visions du monde s’affrontent au cours de l’interrogatoire. L’inspecteur tente de reconstituer les événements de façon rationnelle, mais bute sur un témoin mû par le désir, l’absolu et la passion.L’inspecteur comprend difficilement les motifs d’Yves, à la fois violents et romantiques ; vice versa, Yves avoue difficilement avoir commis un crime.

Le décor très réaliste rehausse davantage le contraste entre le passionnel et le rationnel. Alors que le récit du crime frôle la folie et déborde d’émotions vives, le boisé sobre d’un bureau au palais de justice rappelle la rationalité qui sous-tend le système judiciaire. Le réalisme des décors anticipe le fait qu’ultimement, Yves aura à se défendre devant un juge, selon la loi, au sein d’un système qui n’acquittera pas nécessairement un tueur parce qu’il a tué par amour.

Le duo McGinnis-Béland nous offre un jeu intense, mais nuancé, simultanément cru et poétique. Ils maintiennent avec brio la tension dramatique pendant les monologues et les silences, ce qui n’est pas chose aisée. Les deux acteurs n’en sont pas à leur première production ensemble. Marc Béland a auparavant dirigé Benoît McGinnis dans Hamlet au TNM.  La complicité de leur jeu en témoigne. Par ailleurs, Marc Béland a interprété le rôle d’Yves en 1988 et fait un virage à 180° réussi du personnage passionnel au personnage rationnel.

Un article de Jean Siag, paru dans La Presse le 13 septembre 2014, rapporte quelques paroles de René-Daniel Dubois sur la place du théâtre dans la société québécoise d’aujourd’hui : « Quand je considère l’activité théâtrale au Québec en ce moment, j’ai l’impression de visiter le village fantôme de Val-Jalbert. » L’article porte un titre bien lourd : « La mort du théâtre. » Souhaitons tout de même longue vie à Being At Home With Claude, car elle constitue sans doute un exemple marquant du théâtre de création au Québec. 

Pour plus d’information sur le Théâtre du Nouveau Monde :  http://​www​.tnm​.qc​.ca/ 


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