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Des terrorisés porteurs de haine

La peur de L’État islamique instaure un climat d’intolérance dans notre société.

« Ceci est un message au Canada et à tous les tyrans américains : nous venons pour vous détruire, avec la permission d’Allah le tout-puissant », proclame un membre d’un groupe canadien à la pensée djihadiste  qui se déclare affilié à l’Etat Islamique (EI).

D’abord nommé EII (Etat Islamique d’Irak) puis EIIL (Etat Islamique d’Irak et du Levant), cette organisation djihadiste terroriste a entrepris de prendre le contrôle des territoires entre la Syrie et l’Irak et d’y instaurer un califat. L’Etat Islamique s’est progressivement affranchi d’Al Qaida, alors qu’il était auparavant clairement affilié à sa branche syrienne, le Front Al-Nosra. La compétition entre les deux organisations s’est accentuée avec l’annonce faite par EIIL, le 29 juin 2014, du rétablissement d’un califat sur les territoires irakiens et syriens. Cependant la tendance semble actuellement s’inverser : Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et Al Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) ont, la semaine dernière, appelé au soutien de l’EI face à la coalition internationale. 

L’élargissement continuel de ce groupe, son comportement des plus offensifs et ses liens ambigus avec Al Qaida n’ont fait qu’acérer l’inquiétude des pays occidentaux au cours de l’été dernier. À tel point que les États-Unis sont récemment intervenus sur le territoire irakien, en conduisant une série d’offensives aériennes. Dans un discours prononcé le 10 septembre, le Président Obama se fixe un objectif clair : « Nous avilirons et détruirons EIIL par le biais d’une stratégie de contre-terrorisme globale et soutenue ». Début septembre, le Premier Ministre canadien Stephen Harper a annoncé le déploiement de « plusieurs douzaines » de conseillers militaires. « La menace posée par EIIL exige une réaction ferme de la part de la communauté internationale, et le Canada est prêt à remplir son rôle », déclare John Baird, le Ministre des Affaires Etrangères. L’Amérique du Nord se mobilise donc progressivement pour faire face à l’une des organisations terroristes armées les plus dangereuses du monde. 

À la suite de cette mobilisation de l’administration politique canadienne, ce sont les Canadiens civils qui se lancent sur le sujet. Temps de crise oblige, les critiques envers l’Islamisme, et même l’Islam tout-court, ressurgissent. Au Québec, une étude conduite en 2013 par Maclean’s sur un échantillon de 280 internautes nous apprenait que 68% d’entre-eux avaient une opinion modérément défavorable ou très défavorable de l’Islam. Cela n’est pas sans nous rappeler les débats sur la Charte des Valeurs, où la province a pu alors briller par sa méconnaissance des groupes minoritaires religieux. 

C’est ce phénomène de réticence et d’incompréhension que regrette Sarah, une étudiante musulmane de McGill : « Les gens confondent souvent, à tort, Islam et terrorisme. La population américaine par exemple, encore traumatisée par les événements du 11 Septembre, marginalise les musulmans, qu’elle considère comme responsable des attentats. »

Comme l’explique Barack Obama lui-même, « EIIL n’est pas “Islamique”. Aucune religion ne tolère la mort d’innocents. Et la plus grande majorité des victimes d’EIIL sont musulmanes ». Il est d’ailleurs explicitement écrit dans le Coran : « Ne détruisez point la vie que Dieu a rendu sacrée » (sourate 17, verset 33). Les croyants sont tenus d’apporter la paix, l’amour et la sécurité autour d’eux : un dogme ô combien différent des principes du djihad de l’EIIL ! The Islamic Monthly (Une publication basée aux Etats Unis, indépendante et non religieuse, qui se concentre sur les musulmans dans le monde moderne) d’ailleurs de renommer EIIL en un Etat « non Islamique » : « Certaines organisations, qui se disent musulmanes (telles qu’EIIL ou Al Qaida) et prétendent tuer au nom de l’Islam, dénaturent en réalité son essence profonde ».

Le rapide développement de l’EIIL amène aujourd’hui un triste constat au sein même de notre société canadienne. Au lieu de faire réfléchir et de nous en apprendre plus sur les enjeux du Moyen Orient, sur la question de l’islamisme et de sa distinction avec l’Islam ; sa présence accrue au sein du débat médiatique semble ne faire qu’apeurer le public, qui se renferme derrière des idées fausses et des opinions simplistes. Ce trop-plein d’informations alarmantes produit un effet de désinformation. Et cette masse civile inquiète et mal instruite, qui affilie haine et Islam, crée elle-même un climat de haine, de destruction et d’intolérance à plus de 9000 km du théâtre des atrocités menées par l’EIIL.


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