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Tueurs en serie

Dès l’instant où l’on en prend conscience, notre perspective change à jamais.

Alexis de Chaunac

Les humains se sont réduits les uns les autres en esclavage. Ils ont de tout temps tué sauvagement leurs congénères. Pour beaucoup, nous essayons d’apprendre du passé pour éviter que ces injustices ne se reproduisent, par respect pour la vie. Il demeure que nous restons des tueurs en série. À une échelle inimaginable, nous cautionnons de manière continue le meurtre de millions d’êtres sensibles et conscients : les animaux que nous élevons pour leur chair, leur cuir, et pour notre divertissement. Par besoin de rentabilité, on les entasse dans des compartiments ridiculement trop petits, en proie au stress, à la dépression et à la maladie. N’ayant ni le temps ni l’envie de décrire cette horreur, je renvoie mes lecteurs à l’excellent documentaire Earthlings de Shaun Monson.

Cette exploitation est foncièrement illégitime, puisqu’elle provient d’une quête de plaisir et non de la satisfaction d’un besoin. Il est parfaitement possible de rester en bonne santé sans manger aucun élément d’origine animale et en adaptant son alimentation en conséquence. Certains y prennent goût ; d’autres non. Peu importe, le critère du plaisir ne justifie pas le choix de conserver une alimentation “carniste” (c’est-à-dire, qui fait de la consommation de viande une chose éthique) . De même, nous pouvons survivre sans porter de cuir, sans visiter de zoos, cirques, et autres parcs à thème. Mill écrivait, dans De la Liberté, que chaque individu ne peut être légitimement empêché par la société de faire ce qui lui plaît, dans la mesure où il ne concerne pas autrui. Manger une merguez, cela ne tient pas du domaine de la vie privée : il y a quelqu’un dans votre assiette !

Le problème intrinsèque à ce meurtre de masse industrialisé, c’est, comme l’écrivait Hannah Arendt à propos de la Shoah, la « banalité du mal ».  Nous avons le pouvoir de supprimer une vie en dégainant une carte bancaire. Difficile de se sentir coupable ! On dit souvent que l’humanité deviendrait majoritairement végétarienne si chacun devait abattre les animaux qu’il consommait. Nous avons été élevés dans un paradoxe : l’apprentissage de la compassion pour l’animal parallèlement à la normalisation de l’élevage nourricier. Mais en changeant de perspective, on se rend compte que chaque dollar déboursé pour l’exploitation animale, quelle qu’en soit sa forme, engendre la souffrance et la mort. La satisfaction d’un plaisir gustatif ou esthétique justifie-t-elle un tel massacre ? 

 Ce ne sont que des animaux. Mais vous n’êtes que des humains ! Votre douleur ne pèse pas plus dans la balance que la leur ; et votre plaisir ne vaut pas plus que le leur. Bien qu’elles soient différentes, ce sont des formes de conscience, capables de ressentir des émotions et des sensations, au même titre que vous. Que l’on soit bien d’accord, je ne mets pas tous les animaux sur un pied d’égalité. L’animal humain a pu s’imposer comme l’espèce dominante grâce à des capacités cérébrales supérieures. Mais notre intelligence ne nous confère-t-elle pas justement une responsabilité ? Puisque nous sommes capables d’éprouver de la compassion, nous sommes probablement la seule espèce à pouvoir penser au bien-être des autres formes de vie. Nos facultés sont un outil aussi efficace pour détruire que pour créer. Il est donc du devoir de l’être moral de permettre à chaque animal, humain ou non, de satisfaire ses besoins primaires, de jouir de plaisirs simples et d’éviter la souffrance.

La différence entre le lion et vous, c’est que vous pouvez choisir de préserver la vie. La différence entre la gazelle et la vache, c’est que la vache ne connaît qu’une vie de servitude et de souffrance pour le simple plaisir égoïste de celui qui paye pour la manger. La différence entre le lion et vous, c’est que vous pouvez réfléchir, faire des choix, et inventer dès aujourd’hui un monde plus juste.


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