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Un pas en arrière dans la législation sur la prostitution

Des association représentant les travailleuses du sexe s’opposent au projet de loi C‑36.

Luce Engérant

C’est ensemble et dans les locaux de l’association Stella, l’amie de Maimie, que plusieurs associations qui représentent des travailleurs et travailleuses du sexe ont décidé de faire entendre leur mécontentement face au projet de loi C‑36, lors d’une conférence de presse organisée le 5 septembre. Étaient présents des représentants d’Action Santé Travesti(e)s et Transsexuel(le)s du Québec (ASTT(e)Q), de Rézo, projet travailleurs du sexe, de l’Association Québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD), de Stella, l’amie de Maimie et Viviane Namaste, professeure à l’Université Concordia. Ce que déplorent particulièrement ces associations est le manque de consultation dont le gouvernement a fait preuve lors du débat de loi. Pour Anna-Aude Caouette, de Stella, l’amie de Maimie, « l’esprit du projet de loi ne reconnaît absolument pas les 30 ans de lutte des travailleuses du sexe du Canada ».

Le projet de loi C‑36, ou Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, sur lequel débattra le comité sénatorial entre le 9 et le 11 septembre, est en fait une série de modifications apportées aux articles du Code criminel du Canada relatifs à la prostitution. Après qu’il ait été décidé par la Cour suprême que les anciens articles portaient atteinte aux droits et libertés des travailleurs et travailleuses du sexe et qu’ils aient été décrétés nuisibles pour la sécurité de ces derniers, le projet de loi C‑36 a été déposé en juin 2014.

Tout d’abord, ce projet renforce l’arsenal juridique des procureurs face aux clients en criminalisant l’achat de services sexuels dans tout espace public où des moins de 18 ans seraient susceptibles de se trouver, c’est-à-dire quasiment partout. Les clients accusés pourraient donc, selon la décision du juge, se voir condamnés à payer une amende allant de 500 à 2 000 dollars, et même une incarcération pouvant aller jusqu’à 5 ans. Selon Frank Suerich-Gulick de l’ASTT(e)Q, « en criminalisant les clients et les tierces parties, la loi créerait un climat de peur dans lequel il serait plus difficile pour un travailleur ou une travailleuse du sexe d’accéder à de l’aide lorsqu’elle est victime de violences ». En effet, si les clients craignent une arrestation, la prostitution tend à se déplacer vers des quartiers plus sensibles où le risque de violences sur les travailleuses du sexe est accru. Pour Claude Poisson, de Rézo, projet travailleurs du sexe, le déplacement et l’isolement des travailleuses du sexe dû à sa criminalisation fera en sorte que ces dernières « ne seront plus capables de négocier une relation sexuelle égalitaire et sécuritaire », citant comme exemple le port du préservatif et le choix des clients.

Le projet de loi C‑36 rendrait également illégale la communication par les travailleurs du sexe visant à offrir des services ainsi que la communication des clients dans tout endroit, public ou privé, avec pour objectif de recevoir des services sexuels. La publicité pour les services sexuels, quant à elle, serait illégale sur toute forme de support, exception faite des travailleuses du sexe offrant leurs propres services.

Enfin, le projet de loi criminalisera le proxénétisme et le fait de « bénéficier d’un avantage matériel » de la prostitution, et sans pour autant beaucoup changer la législation existante, les pénalités en seraient augmentées.

Si les modifications des lois relatives à la prostitution apportées par le projet C‑36 relèvent pour beaucoup de changements de formulation plus que de modifications majeures, Viviane Namaste rappelle « l’importance de discuter de ce sujet sans nuances et sans ambigüités ». Tous les représentants des associations des travailleurs et travailleuses du sexe s’entendent sur le fait que la criminalisation de la prostitution conduit toujours à la précarisation de la condition des travailleurs et travailleuses du sexe.


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