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Baptême princier à l’OSM

Le grand orgue Pierre-Béique a été inauguré le 28 mai dernier dans un faste vertigineux

Yannick Khong

« L’orgue, le seul concert, le seul gémissement

Qui mêle aux cieux la terre !

La seule voix qui puisse, avec le flot dormant

Et les forêts bénies,

Murmurer ici-bas quelque commencement

Des choses infinies ! »

//Dans l’église de ***//, Victor Hugo.

 

Infinies, c’est ce qu’espère l’Orchestre Symphonique de Montréal (OSM) qui inaugurait, le mercredi 28 mai, l’instrument le plus imposant de son ensemble : le grand orgue Pierre-Béique.

Coïncidant avec la fin de la 80e saison de l’OSM, cette soirée, à la pompe digne de la cérémonie de clôture du festival de Cannes, a rassemblé un public de privilégiés et un nombre impressionnant de représentants des médias. Et pour cause, selon Lucien Bouchard, président du Conseil d’administration de l’OSM, la résonance du grand orgue Pierre-Béique dans la Maison Symphonique, elle-même inaugurée trois ans plus tôt, représente « un de ces moments qui marquent d’une pierre blanche le parcours d’un organisme ».

Techniquement, l’instrument, qui doit son nom au fondateur de l’OSM, Pierre Béique (1910–2003) impressionne déjà par les chiffres. Il est le fruit de plus de 40 000 heures de travail, comporte 109 registres, 83 jeux, 116 rangs et 6489 tuyaux. Voilà pour ceux qui en connaissent le fonctionnement. Pour les autres, il est né de la maison des Frères Casavant, installée à Sainte Hyacinthe, et a pour vocation de compléter l’orchestre mais également de remettre l’expertise québécoise sur le devant de la scène. Chose qui devrait plaire au gouvernement du Québec qui s’assurera de sa maintenance, par le biais d’un partenariat public-privé entre le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine et un grand groupe immobilier. Car un tel instrument a un coût, et s’il y a bien une chose que l’on retient de cette soirée, c’est le nom du mécène qui l’a rendue possible, Jacqueline Desmarais. Répété à maintes reprises par les différents intervenants, ce nom rappelle au public que la culture, ou du moins la musique classique, a un prix, et qu’elle ne pourrait exister sans l’argent qui la finance.

Et si cette relation intime à l’argent, qu’on préfère associer au monde des affaires supposé loin de celui de la culture, n’était pas assez évidente, il suffisait alors de se tourner vers ses voisins pour se rendre compte que le spectacle ne se jouait pas que sur scène. Au parterre, on voyait des costumes trois pièces en veste de smoking et des robes immenses aux mises en pli impeccables. Au milieu de ce faste, il fallait qu’Olivier Latry, l’organiste invité pour l’occasion, Kent Nagano et son orchestre, prouvent que d’avantage qu’une excuse pour se faire voir, l’inauguration était avant tout un grand événement culturel.

Le défi était de taille, comme la traîne de certaines des robes dans le public, mais il fut relevé, et avec une certaine désinvolture sympathique, même, dans l’attitude de l’organiste. La toccata et fugue en ré mineur, de Bach, baptise l’instrument avec un morceau légendaire dont les premières notes sont immédiatement familières de tous. Avec puissance et précision, Latry nous convainc que, comme il le dit lui-même, « l’orgue [c’est] un instrument qui nous dépasse, en taille, en spiritualité, en beauté ». Puis l’orchestre le rejoint pour les deux morceaux qui suivent, un prélude et fugue de Franz Liszt, puis la Symphonie n° 3 en do mineur de Camille Saint-Saëns. Tandis que dans le premier, l’orgue occupe une place dominante et se trouve sublimé par l’orchestre, c’est tout naturellement qu’il se fond dans l’ensemble lors du second morceau.

L’instrument n’a été inauguré officiellement que la semaine dernière, mais il semble que l’orchestre soit déjà prêt à s’attaquer à la toute nouvelle palette musicale qui s’offre à lui.


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