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Entrevue élections : PN

Entrevue avec Mathieu Marcil (Parti Nul)

Dans le cadre de sa couverture des élections provinciales 2014, Le Délit vous offre sa 3e et dernière série d’entrevues. Entrevue avec Mathieu Marcil, candidat pour le Parti Nul dans Outremont.

Le Délit (LD): En quelques mots le Parti Nul (PN), c’est quoi ?

Mathieu Marcil (MM): Au PN ce qu’on cherche à faire, c’est permettre une « comptabilisation de l’insatisfaction ». En ce moment, les gens qui ne se reconnaissent dans aucun des partis n’ont pas de moyen d’en témoigner. En fait ils ont deux choix. Ils peuvent s’abstenir de voter, auquel cas ils sont englobés dans la catégorie des « apathiques » ou de ceux qui ne sont pas intéressés par la politique,  alors que ce n’est pas nécessairement le cas. Ou bien, ils peuvent se déplacer aux urnes et annuler leur vote en cochant toutes les cases, mais cette technique fait en sorte que leur bulletin de vote entre dans la catégorie des bulletins rejetés qui ne sont pas comptabilisés. En fin de compte ils vont malgré eux cautionner la personne qui rentre, parce qu’ils augmentent la participation au vote  et augmentent de ce fait le pourcentage que la personne élue obtient.

Pour donner un exemple : prenons un échantillon de cent personnes qui auraient le droit de vote, dans un environnement donné. Si  sur cent personnes, une seule vote pour un des candidats tandis que les 99 autres s’abstiennent de voter, la personne qui n’a eu qu’une seule voix rentre quand même avec une participation à 1% mais 100% des bulletins, puisqu’aucun des autres n’a voté. De même, si les 99 se déplacent pour voter mais cochent l’ensemble des cases, la même personne rentre non seulement avec 100% des voix mais en plus elle obtient une participation de 100%, ce qui lui confère une certaine légitimité qu’elle n’aurait pas obtenue autrement.

LD : À qui s’adresse le PN ?

MM : En général on ne se demande pas pourquoi les gens votent pour un parti en particulier plutôt qu’un autre : ils adhèrent à un ou plusieurs points du programme du parti. Mais pour le Parti Nul qui n’a pas de plateforme, on se pose cette question là. On représente une case vide et c’est notre seule véritable fonction. Une personne qui voterait pour nous serait une personne qui, pour diverses raisons, en arrive à la conclusion que les candidats entre lesquels il doit choisir ne font pas son affaire. Nous ce qu’on dit, c’est que si vous avez l’intention de vous abstenir ou d’annuler votre vote, faites-le de façon à ce que ça puisse être perçu : en votant pour le PN.

LD : Avez-vous l’impression que les jeunes, chez qui on peut noter un certain cynisme ou un désintérêt de la politique, se sentent particulièrement interpellés par votre parti ? 

MM : Je pense que les mouvements de changement, historiquement, passent par la jeunesse. À ce niveau-là on peut peut-être avoir un attrait pour la jeunesse, parce que je considère qu’on est une voie pour le changement. Mais je côtoie des gens de tous âges et toutes orientations qui  voient ce projet-là d’un bon œil.

LD : Ne pas aller voter ça peut être une réelle décision, intentionnée, pour signifier son désaccord. Vous reconnaissez ce problème et justement vous encouragez les électeurs à passer par le vote pour s’exprimer. Comment encouragez-vous la culture du voter ?

MM : Étant un petit parti, on a peu de moyens voire aucun- nos campagnes jusqu’à présent ont été menées en suivant le modèle « zéro dépense ». Mais on fonctionne beaucoup par les médias sociaux, l’environnement social direct, la parole. C’est une idée qui fait son chemin un peu d’elle-même. Personnellement je  ne condamne pas activement les abstentionnistes puisque dans l’état actuel des choses et si le parti nul n’existait pas, la meilleure façon d’envoyer un message reste l’abstentionnisme, même si ce n’est pas efficace. Le problème c’est qu’on ne peut pas savoir pourquoi les gens n’ont pas participé. Mais en en ayant la case du parti nul, on sait que les gens ont pris cette décision.

LD : À plus long terme est-ce que vous militez pour un changement de la loi électorale et du mode de scrutin au Québec ?

MM : Ultimement,  c’est effectivement la solution qu’on vise. En ce moment on est obligé d’avoir des gens comme nous, qui se présentent  en disant « votez pour moi, je ne ferai rien », ce qui peut être perçu comme très cynique en fait, mais en même temps c’est important que la classe politique puisse prendre conscience de ce désabusement.

LD : Comment parvenez-vous à gagner en crédibilité ? Simplement le nom de votre parti en fait sourire plus d’un.

MM : C’est sûr qu’à chaque fois que j’explique à quelqu’un que je me présente pour le Parti Nul, la première réaction est le rire. Les gens trouvent ça amusant comme nom, voire insultant. Mais à partir du moment où il est possible d’expliquer ce pour quoi on est là, les gens comprennent que c’est une démarche qui est résolument démocratique et non pas cynique. Souvent on nous compare au Parti Rhinocéros au fédéral [parti humoristique s’étant présenté plusieurs fois aux élections fédérales pour tourner la politique en dérision, ndlr] et je comprends qu’on fasse le lien, ce parti ne cherche pas non plus à se faire élire. Mais ce n’était pas clair quand on votait pour le Parti Rhinocéros que cela représentait un désaveu de ce qui était présenté. Dans notre cas on tente de faire en sorte que le message soit le plus clair possible.

LD : Comment vous positionnez vous dans la campagne, à la fois dans les médias en tant que petit parti, et aussi par rapport aux autres partis sachant que votre campagne est totalement différente puisque vous n’avez pas de plateforme ?

MM : Officiellement le temps d’antenne offert par les médias est égal entre les différents partis. Mais pour se prévaloir de ce temps d’antenne, il faut avoir des moyens que n’avons pas. Nos candidats ne sont d’ailleurs pas tous des politiciens de carrière. Dans cette campagne on occupe un « drôle d’endroit ». On n’est pas  souvent invités mais c’est vrai qu’on n’a pas grand-chose à dire en tant que parti puisque notre but n’est pas de se positionner par rapport aux grands enjeux, nous ce qu’on tente de faire c’est rendre l’exercice démocratique plus représentatif de la réalité. Le reste c’est des opinions personnelles.

D’un autre côté, on a eu peu de réponses des médias qu’on sollicitait pour des entrevues. On n’a pas tant de visibilité et souvent les gens ne connaissent tout simplement pas le parti nul.

LD : Vous aussi, vous avez eu votre « candidat vedette » : Anarchopanda. Qu’est-ce que ça a changé pour votre campagne ?

MM : Lorsque la candidature d’Anarchopanda a été annoncée, en une semaine on a eu plus de visibilité qu’on avait eu depuis la campagne de 2012. Ceci dit cette candidature nous a aussi posé un problème, c’est pour ça qu’Anarchopanda n’est plus candidat. Les gens se seraient mis à voter en faveur de la figure du panda au lieu de voter simplement pour annuler leur vote, donc pour aucun candidat en particulier. Comme notre but n’est pas de se faire élire on a décidé de retirer sa candidature, bien qu’il nous faisait beaucoup de publicité.

En général, on n’a pas de ligne de parti. Les choix personnels restent personnels, c’est l’avantage de n’avoir aucune plateforme d’ailleurs, on peut plaire à une diversité d’électeurs.

LD : Si vous obtenez un haut pourcentage aux élections, par exemple 10%, sans pour autant être élu, que faites-vous par rapport à cela ?

MM : Ce serait déjà très fort comme résultat et à ce moment-là  ce serait difficile, si la tendance se généralise, de ne pas considérer l’option de changer la loi électorale.  Ce sont les élus qui votent la loi électorale, pas le DGEQ qui lui simplement l’applique. À partir du moment où on obtient un fort pourcentage, il devient difficilement justifiable de ne pas mettre à jour la loi électorale. Dans ce cas on ajouterait la case du vote nul. Notre parti deviendrait alors désuet mais l’exercice démocratique  serait plus réaliste.

LD : Et si vous rentrez… ?

MM : Déjà, ça enverrait un message très grave, car si suffisamment de gens décident que la meilleure personne pour gouverner est celle qui ne veut pas être là et qui ne prétend pas avoir les qualifications pour le faire, c’est très grave. On a réfléchi un peu à la question et on a plusieurs options. Mais si un de nos candidats est élu, on pense qu’il se doit de se présenter – sinon on serait obligé de refaire l’exercice démocratique. La personne élue se servirait alors de ses interventions uniquement dans le but de faire changer la loi électorale pour inclure une case d’annulation. Elle pourrait aussi servir de voix directe pour la population, mais on doit encore approfondir la question. Dans tous les cas, il faut savoir qu’aucun membre du parti n’est là parce qu’il pense qu’il va rentrer.

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Le Parti Nul existe depuis 2009. Aux dernières élections de 2012, il avait présenté dix candidats et obtenu 0,06% des voix. Cette année, 24 candidats se présentent sous la bannière du PN.  Il n’existe pas d’équivalent de ce parti au fédéral ou au municipal, mais d’autres partis dans le monde remplissent des fonctions similaires.


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