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Le soleil au bout de la rame

Un bref aperçu de l’état du transport collectif à Montréal.

« Je ne suis pas certain qu’on trouverait cent personnes qui rêvent de prendre l’autobus ». Le maire de Québec Régis Labeaume a beau ne pas être convaincu de l’importance des transports en commun dans la société actuelle, la tendance semble montrer le contraire. Partout le transport collectif est en expansion et il y a une réelle demande pour que le réseau soit amélioré.

Les transports en commun restent certes relativement peu utilisés au Canada. Seule une personne sur huit les emprunte pour se rendre à son lieu de travail : plus précisément, 82% des travailleurs prennent leur automobile, tandis que 12% utilisent les transports en commun et 6% se déplacent à pied ou à vélo, selon une étude de Statistique Canada en 2010.

Mais dans tous les cas, le nombre de déplacements en transport collectif est en constante augmentation chaque année.  D’après la Société de Transport de Montréal (STM), la ville a enregistré 405 millions de déplacements en 2011, un record d’achalandage historique, qui représente en fait une augmentation de 12% depuis 2006. Se basant sur ces statistiques montantes, la STM a décidé de fixer l’objectif de son Plan stratégique à 540 millions de déplacements annuellement pour 2020, soit une hausse de 40% par rapport à 2010.

Les transports collectifs se sont ainsi frayés un chemin dans les mentalités. Dans un récent sondage CROP, commandé pour l’Association du transport urbain du Québec (ATUQ) et présenté le 17 mars dernier, 88% des répondants, usagers ou non, affirmaient qu’il est « assez » ou « très » important de financer davantage les transports en commun. Dans la région métropolitaine de Montréal, le pourcentage monte à 90% des répondants.

Faisant écho à ces préoccupations, le transport collectif a occupé une place de choix lors de la campagne municipale à Montréal, à l’automne dernier, et est aussi un  thème de discussion de l’actuelle élection provinciale.

Petites et grandes frustrations 

Montréal est une ville où les transports sont bien développés. Mais il reste beaucoup à faire au niveau de la connectivité, de l’efficacité et de la gouvernance notamment. Ainsi, pour parcourir une distance de cinq kilomètres entre un certain point de l’arrondissement Côte-des-Neiges et un point donné du centre-ville par exemple, il faut compter au minimum qurarante minutes de voyage en transport collectif, alors qu’un même voyage serait réalisable en sept minutes uniquement en automobile. De même, il est fréquent d’entendre les usagers du transport collectif se plaindre des longues attentes aux arrêts d’autobus, dans l’une des villes les plus froides au monde l’hiver. Sans parler, enfin, des pannes dans le métro.

En fait, si les études statistiques montrent que le transport collectif n’est pas le mode de déplacement favorisé par le citoyen moyen, c’est principalement parce que le réseau n’est pas adapté à la demande.

Ces exemples relèvent de l’anecdote, mais ces petites histoires multipliées viennent démontrer que le réseau de transports à Montréal est en fait plein de failles et manque de coordination. Il reste encore un grand pas à franchir pour que l’auto ne soit plus considérée comme le moyen de transport « facile », « par défaut ». En fait, si les études statistiques montrent que le transport collectif n’est pas le mode de déplacement favorisé par le citoyen moyen, c’est principalement parce que le réseau n’est pas adapté à la demande. Selon l’étude de Statistique Canada mentionnée plus tôt, les déplacements en transports collectifs sont en moyenne beaucoup plus longs que les déplacements en automobile (en général d’une vingtaine de minutes).

À Montréal en particulier, les plaintes des usagers témoignent d’une insatisfaction collective, et surtout d’une frustration devant le potentiel d’un réseau déjà bien structuré, mais qui pourrait se développer bien davantage.

Infrastructures montréalaises

Le transport collectif à Montréal existe depuis plus de 150 ans. La ville comptait déjà un réseau de tramways dans les années 1860 (alors tirés par des chevaux). Depuis, les transports se sont largement développés, et à partir de 1951 l’entreprise de gestion des transports collectifs à Montréal (la STM actuelle) est passée dans le domaine public.

 Les voitures du métro qui roulent actuellement sont les mêmes que celles qui roulaient dans les années 1960, à l’ouverture.

Autobus

Montréal compte un réseau développé d’autobus, qui comprend 170 lignes, en plus de 23 lignes de nuit. Ces lignes se divisent en différents types : le service régulier, le réseau « 10 minutes maximum », le réseau express pour les heures de pointe, les Navettes Or pour faciliter le transport des personnes âgées, et les navettes pour les événements spéciaux ou pour l’aéroport. Pour faire fonctionner ce système, la STM possède près de 1700 autobus en service.

Si le réseau est bien structuré et permet de connecter tous les points cardinaux de la ville, beaucoup plus qu’avec le métro, il n’en reste pas moins que les autobus ne passent pas partout, et souvent il faut passer par un réseau de correspondances entre plusieurs autobus. Les temps d’attente dépendent des lignes : certaines ne passent qu’une à deux fois par heure. En général certaines lignes sont jugées plus fiables que d’autres.

Métro

Le métro de Montréal a été inauguré par le maire Jean Drapeau en 1966, un an avant l’exposition universelle de 1967. À l’origine il ne comptait que trois lignes –  les lignes orange, jaune, et verte –  et seulement 26 stations. Au fur et à mesure des années, des stations se sont ajoutées au réseau, et la quatrième ligne (bleue) a été lancée entre 1986–1988. Le métro d’aujourd’hui comporte 68 stations réparties sur quatre lignes, sur un total de 71 km. Les derniers changements au réseau datent de 2007, avec la construction de trois stations à Laval.

Le réseau de métro reste limité et ne connecte pas tous les points de la ville. Ce n’est que depuis récemment qu’il traverse la rivière des Prairies pour se rendre à Laval. Mais les pointes est et ouest de l’île ne sont pas desservies. Le projet d’étendre la ligne bleue au nord-est existe depuis des années mais progresse lentement et reste pour l’instant au stade de « projet », même si lors de la dernière campagne municipale, les candidats ont réaffirmé leur intention d’accélérer le processus.

Les voitures du métro qui roulent actuellement sont les mêmes que celles qui roulaient dans les années 1960, à l’ouverture. Les pannes de métro sont d’ailleurs fréquentes. Enfin, les heures d’ouvertures restent plutôt limitées (entre 5h30 et 0h30 environ).

Autres moyens de transport

La ville de Montréal compte aussi depuis peu un service de taxis collectifs, « un transport adapté aux quartiers où il n’est pas possible d’implanter un service d’autobus régulier » comme l’explique le site Internet de la STM. Ces voitures sont des taxis traditionnels mais qui permettent à plusieurs usagers de partager la route.

En ce qui concerne les transports qui ne sont pas « collectifs » en tant que tel, mais qui restent des alternatives à l’automobile privée, il y a aussi à Montréal un réseau de pistes cyclables, et un système de vélos en libre-service, les Bixis (l’entreprise a fait faillite, mais la ville de Montréal tente actuellement de la sauver). Il existe également plusieurs services de partage d’auto comme Communauto et le récent Car2go.

Tarifs

Les tarifs du métro et des autobus sont compris dans un même système. La STM propose différents titres de transport : les billets occasionnels, ou bien les abonnements hebdomadaires et mensuels notamment. Pour un étudiant, le prix de la carte OPUS mensuelle est de 47,25 dollars depuis le 1er  janvier 2014. Au plein tarif, le prix monte à 79,50 dollars. Ces prix n’ont cessé d’augmenter dans la dernière décennie (en 2004, les étudiants payaient 31 dollars par mois). Ce phénomène est dû en partie à l’inflation croissante, mais aussi au manque d’investissement dans les transports.

S-Transports
Keelan MacLeod | Le Délit

Région métropolitaine

Sur l’Île de Montréal c’est la STM qui est en charge du réseau de transports. Mais au niveau du Grand Montréal, la main passe à l’Agence Métropolitaine de Transport (AMT) et les grandes villes comme Laval et Longueuil ont également chacune leur propre compagnie : la Société de Transports de Laval (STL) et le Réseau de Transports de Longueuil (RTL). L’AMT est un lien entre ces différentes sociétés de transports. L’agence est également responsable du fonctionnement des cinq lignes de trains de banlieue qui parcourent la région de Montréal.

Au niveau du Grand Montréal, le réseau de transport manque donc notamment de cohérence (au niveau des prix et des correspondances) et n’est pas efficace sur plusieurs aspects. Mais ces différents problèmes sont souvent dénoncés par les usagers, et il y a de nombreux projets pour mieux développer le réseau.

Les services entre les différentes sociétés de transport de la région ne sont toutefois pas harmonisés. Par exemple, les billets de transports de la STM ne sont valides que sur l’Île de Montréal et ne peuvent pas être utilisés pour les trains de banlieue. L’AMT a ses propres titres de transport : les TRAIN, pour les trains de banlieue, et les TRAM (Train Autobus Métro) qui permettent d’utiliser les différents modes de transport de la région, dans les zones choisies par l’usager. L’AMT divise la région métropolitaine en zones, de 1 à 8 selon le degré d’éloignement par rapport à l’Île de Montréal.

La STL et la RTL possèdent aussi chacune leur propre système de tarification. Pour voyager dans la région de Montréal, il faut donc savoir que différents régimes s’appliquent. Au quotidien, ce manque d’harmonisation peut créer des situations complexes. Par exemple, un jeune « îlois » qui possède une carte OPUS mensuelle au tarif étudiant, qui souhaite se rendre à un certain point central de la ville de Laval et faire l’aller-retour, pourra utiliser sa carte pour prendre le métro de la STM jusqu’à Laval mais une fois là-bas, il devra prendre un billet pour un autobus de la STL, et au retour, prendre de plus un billet « spécial » de la station lavaloise de métro de la STM, billet à prix unique disponible uniquement dans cette station, car sa carte OPUS n’y est pas acceptée.

Au niveau du Grand Montréal, le réseau de transport manque donc notamment de cohérence (au niveau des prix et des correspondances) et n’est pas efficace sur plusieurs aspects. Mais ces différents problèmes sont souvent dénoncés par les usagers, et il y a de nombreux projets pour mieux développer le réseau.

Projets de la STM 

À plus ou moins court terme, la STM a plusieurs projets concrets pour améliorer son réseau. Par exemple, la société prévoit le remplacement graduel des vieilles voitures de métro MR-63 (datant de 1966) d’ici à l’automne 2014.

Pour ses nouveaux wagons, Montréal s’est inspirée de villes comme Berlin, Shanghai, Mexico, Delhi et proposera des trains composés de neuf voitures indéformables, qui devraient faciliter une libre circulation d’une voiture à l’autre. Ces voitures « Azur » (nom donné par la STM) devraient être dotées d’une technologie avancée, et les trains devraient pouvoir accueillir plus de passagers. Le nombre de pannes devrait être diminué dans le futur. Par exemple, un simple problème comme la fermeture des portes, qui est pourtant à l’origine de beaucoup de ralentissements dans le métro aujourd’hui, pourra être diminué.

Même si les discussions durent depuis longtemps, les travaux d’allongement de la ligne bleue devraient être entamés dans un proche avenir. On estime que la ligne pourrait se rendre jusqu’à l’arrondissement d’Anjou au début des années 2020, sur 23 kilomètres supplémentaires. Les nouvelles stations de métro pourraient accueillir près de 84 000 usagers, estime le gouvernement.

Par ailleurs pour améliorer les temps d’attente pour les autobus, le réseau devrait se doter du service « iBUS », un service intelligent pour donner l’heure de passage en temps réel d’un autobus. Ce système sera installé aux arrêts d’autobus, et pourra annoncer les retards et les perturbations sur la route.

Projet de mobilité durable 

Le gouvernement du Québec a dévoilé début février sa « stratégie nationale de mobilité durable », une « approche responsable et novatrice » dont le but est de présenter des solutions de remplacement de l’automobile, comme il est indiqué dans le document.

La stratégie du gouvernement relève de « belles intentions », pour reprendre le titre de l’éditorial de Bernard Descôteaux dans Le Devoir du 11 février 2014. Le document met le doigt sur plusieurs des problèmes du système actuel de transports, notamment les problèmes de la division des rôles entre les différents acteurs (locaux, municipaux, provinciaux), de l’harmonisation des différentes sociétés de transport, et du manque de financement.

 Parmi les idées évoquées, on compte l’harmonisation de certains services aux usagers, l’établissement d’un système tarifaire unique et la diminution du nombre de titres de transport et tarifs différents.

Le document rappelle que l’aménagement du territoire est une responsabilité partagée entre l’État et les municipalités locales et régionales et les communautés métropolitaines (Québec, Montréal). Pour ce qui est des sociétés de transport et de la gouvernance, il y a une prise de conscience du fait que, dans l’agglomération de Montréal en particulier, la « répartition des responsabilités entre différents intervenants rejaillit sur les services offerts ». On parle ici de « fragmentation des responsabilités » et de problèmes de planification des réseaux.

En réponse à ces problèmes le document propose donc la révision de la gouvernance du transport collectif, un projet qui devait être soumis au printemps 2014 (mais qui sera mis en suspens par la campagne électorale). Parmi les idées évoquées, on compte l’harmonisation de certains services aux usagers, l’établissement d’un système tarifaire unique et la diminution du nombre de titres de transport et tarifs différents.

Le gouvernement reconnaît également plus généralement l’importance d’investir davantage dans les transports et annonce une augmentation des investissement, d’abord pour le maintien des structures en place. En 2015–2020 on prévoit 931 millions de dollars d’investissements de plus, et des sommes reversées aux transports en commun depuis le Plan québécois des infrastructures pour le réseau routier. Québec s’engage alors à offrir une augmentation de 30% de l’offre de services.

Le gouvernement rappelle aussi entre autre son intention d’aller de l’avant avec le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal.

Somme toute la stratégie de mobilité durable présente plusieurs idées en réponses aux demandes actuelles. Mais le projet a été présenté à quelques semaines seulement du déclenchement de la présente campagne électorale, et le processus a par conséquent été mis en suspens. Le projet prévoyait également l’ouverture d’un chantier sur le financement du transport collectif, en lien avec l’entente Québec-Municipalités. Mais, pour l’instant, les municipalités ne pourront pas compter sur le soutien de Québec autant qu’elles le souhaitaient. La stratégie ne prévoit d’ailleurs pas une si grande augmentation, si on considère que, de toutes façons, il était nécessaire d’investir dans les transports en commun. Mais le gouvernement aurait pu aller plus loin.

Volonté et investissement 

En fin de compte, améliorer le réseau de transport à Montréal, et au Québec plus généralement, c’est d’abord une question de volonté et d’investissement.

Aux élections municipales de novembre 2013, les candidats avaient présenté différents projets pour Montréal, plus ou moins ambitieux, dépendamment des partis. Parmi ces projets, il y avait d’abord l’entretien des structures en place, mais aussi l’idée de développer de nouvelles infrastructures avec des Services Rapides de Bus (SRB) ou encore un tramway pour Montréal. Aujourd’hui, faire le pas en avant dépend de la volonté de la municipalité. À Montréal, l’arrivée d’un nouveau maire et d’un nouveau président à la tête de la STM (une nomination politique) ont laissé planer le doute. Les récentes coupures dans le dernier budget de la Société ont suscité des réactions.

Mais le résultat final dépend surtout des subventions du gouvernement du Québec, et d’où sont placées les priorités de la province. L’élection du prochain gouvernement provincial devrait déterminer la ligne qui sera suivie dans les prochaines années. En attendant, différents groupes, à différents niveaux, continuent de faire pression pour qu’on considère réellement le transport collectif comme la solution d’avenir.

Par exemple l’alliance TRANSIT (pour le financement du transport collectif au Québec) émet régulièrement des communiqués pour rappeler au gouvernement où il doit fixer ses priorités. « Rappelons que les transports collectifs, au-delà de tous leurs avantages environnementaux et d’aménagement, jouent un rôle majeur dans l’économie du Québec, non seulement en diminuant la congestion routière, mais aussi en créant beaucoup d’emplois », disent-ils dans un communiqué du 20 mars dernier sur les élections.

« On croit que ça devrait être une priorité pour le gouvernement provincial d’investir dans les transports en commun, on est de l’avis qu’il est possible de couvrir le déficit au niveau provincial pour un système majeur de transports en commun » dit Alex Tyrrell, chef du Parti vert du Québec (PVQ), rencontré cette semaine par Le Délit. « Les municipalités cherchent l’investissement. Le système de transport en commun se base sur une gestion locale, mais est financé par un investissement provincial », insiste-t-il. Pour le PVQ, qui propose dans sa plateforme la gratuité du transport collectif, il s’agit simplement de recentrer les priorités, en cessant par exemple d’accorder des subventions aux automobilistes et en reversant l’argent aux projets de transport en commun.

Le système à Montréal pourrait, a priori, mieux fonctionner. Il est plein de petites failles, de petites incohérences par-ci par-là, mais il suffit surtout d’une meilleure organisation et d’une harmonisation, et de toujours le remettre au centre des priorités.

 

** COMPARAISON ENTRE MONTREAL ET TORONTO **

Si on compare brièvement la Société des Transports de Montréal et la Toronto Transit Commission, le premier écart important est au niveau des prix, même pour les étudiants : une passe mensuelle pour prendre le métro et le bus à Montréal coûte 47,25 dollars, alors qu’à Toronto un étudiant devra débourser 108 dollars pour le même service. Selon le site blogoto​.com,  qui présente une comparaison des différents systèmes de transports en commun nord-américains, celui de Toronto est le plus cher de cette partie du continent.

Les deux villes ne sont pas non plus desservies de la même manière : Montréal a une superficie de 365,13 km2 tandis que celle de Toronto est de 630 km2. Cependant, le métro de Toronto ne compte qu’une station de plus (69) que celui de Montréal. De plus, ce dernier permet à 1,2 millions de personnes de se déplacer chaque jour (selon la STM), tandis que celui de Toronto en véhicule 940 300.

Le même déséquilibre se constate au niveau du bus : Montréal compte 170 lignes de bus, alors que Toronto en compte environ 150. Mais il faut ajouter à ce chiffre les 11 lignes de tramway de la métropole ontarienne, dont ne dispose pas Montréal. Ainsi, pour une plus grande population et une aire urbaine beaucoup plus importante, Toronto dispose d’un système de transport similaire à celui de Montréal. La deuxième ville du Canada est donc mieux desservie, comme en témoigne Joshua Guitard-Maraj en entrevue avec Le Délit, ayant habité dans les deux villes. Selon lui, le métro de Montréal est mieux en général, même si le tramway à Toronto est un atout.

       Côme de Grandmaison


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