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Des illusions réelles

Perpendiculaire de l’horizon de Mathieu Cardin : illusion d’optique à la Nuit blanche.

Mathieu Cardin

*Cahier Spécial « Hors Norme »

Le 1er mars dernier, la 11e édition de la Nuit blanche battait son plein. C’était l’occasion pour les festivaliers de profiter des multiples activités proposées pour la clôture de Montréal en lumière. C’était aussi le moment rêvé pour nombre d’artistes d’ouvrir en beauté le festival d’Art Souterrain qui s’étend jusqu’au 16 mars.

L’agitation traditionnelle de la Nuit blanche se répand dans les sous-sols de Montréal ; avec ce festival particulier, le public est amené à découvrir une multitude d’œuvres contemporaines tout au long d’un parcours qui va de la Place des Arts jusqu’au complexe des Ailes, en descendant jusqu’au Centre de commerce mondial de Montréal. C’est précisément dans ce bâtiment que Mathieu Cardin, artiste émergent, finissant sa maîtrise en Arts Visuels à l’Université Concordia et candidat à la bourse Bronfman, expose La perpendiculaire de l’horizon.

Le public s’y arrête en masse, se déplace autour de l’installation et interroge les médiateurs culturels. « Alors, de quel côté est l’illusion ? » demande un spectateur. L’œuvre se décompose en deux parties : une scène domestique assez banale d’un côté, avec un tableau accroché au dessus d’une cheminée, accompagné d’une fausse plante dans un vase, une statuette de soldat spartiate et deux lampes Ikea. De l’autre côté de ce mur apparaît une maquette qui s’inscrit en fait dans le cadre du tableau et en réalise la contenance. En d’autres termes, le paysage qui semble être représenté dans le cadre est, en fait, minutieusement installé à l’arrière du mur en trois dimensions, proférant un effet saisissant.

Pour Mathieu Cardin, il n’y a pas un côté qui relève plus de l’illusion que l’autre. Rendre accessible l’envers du décor au spectateur, ce n’est pas lui offrir le réel, c’est juste lui proposer plusieurs expériences qui peuvent sembler, a priori, incompatibles. Le jeu de perspective n’est pas figuré, il est littéral. Le signifié et le signifiant se confondent.

Guidé par l’idée de rendre accessible au spectateur ce qui ne lui était pas, il reproduit le foyer de ses parents et donne une nouvelle profondeur à la peinture de son enfance. L’horizon devient accessible, le paysage est déconstruit puis reconstruit par l’accumulation des objets et le flou s’installe entre le « ici » et le « là-bas ».

« Pourquoi il y a un canard sous la maquette ? » demande une petite fille à son père qui reste dubitatif. Plusieurs objets qu’on ne peut pas voir dans le tableau sont disposés derrière le mur de façon intrigante. L’artiste explique qu’il y a simplement plus que ce que le cadre permet de voir. Par son approche artistique qui mélange spontanéité et stratégie, il laisse les spectateurs incertains face à la compréhension qu’ils peuvent avoir de l’œuvre. Si quelques motifs se répètent et font référence les uns aux autres, d’autres ont l’air tout à fait hétéroclites et relèvent, effectivement, de l’improvisation.

Toutefois, le cadre de l’exposition d’Art Souterrain ne permet pas à Mathieu Cardin d’exposer son œuvre dans sa totalité. Pour avoir accès à l’intégralité de l’installation Reality Sucks, le rendez-vous est à la galerie d’art contemporain Parisian Laundry située au 3550 rue Saint-Antoine Ouest. L’exposition actuelle, Collision, réunit six artistes émergents choisis par Jeanie Riddle, la propriétaire de la galerie.

En descendant dans la cave du Parisian Laundry, le visiteur se retrouve projeté dans l’œuvre de Mathieu Cardin : un univers hyperréaliste dans lequel imaginaire et réalité se confondent, générant un sentiment de malaise et de fascination chez le public qui ne sait plus distinguer ce qui est réel de ce qui est construit, entre ce qui lui semblait a priori familier et qui lui devient, ici, étranger.

La première pièce est presque vide, il y a une serpillère qui semble tenir debout d’elle-même et un immense miroir. Même si son premier instinct peut être de penser qu’il s’est trompé d’endroit, le visiteur réalise, en s’engouffrant davantage dans cette cave étrange, que cette dernière a été totalement investie au profit de l’installation de Mathieu Cardin.

Il s’agit donc plus d’une expérience déconcertante que d’une simple exposition pour le spectateur, qui parcourt physiquement l’œuvre plutôt que de l’observer à distance, comme il l’aurait fait dans une galerie traditionnelle. Le miroir à l’entrée du parcours force par ailleurs le spectateur à confronter son reflet, lui rappelant qu’il fait partie de l’œuvre dont le message fondamental se base sur la citation des Ecclésiastes qui ouvre le traité philosophique de Jean Baudrillard, Simulacres et Simulation, publié en 1981 :

« Le simulacre n’est jamais ce qui cache la réalité –c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai ».

En effet, pour Mathieu Cardin, le but n’est pas de présenter un produit fini mais plutôt de permettre à son public d’accéder aux coulisses de son processus de création. Ces coulisses ne sont pourtant ni complètement réelles, ni complètement fictives puisqu’elles ont sont à la fois soigneusement disposées et soumises au passage des visiteurs. Pour accéder à la grande pièce où se trouve l’œuvre dont La perpendiculaire de l’horizon est un échantillon, il faut passer par ce qui semble être une conciergerie. C’est tant à s’y méprendre que l’artiste a confié au Délit qu’il a vu le concierge venir s’y laver les mains.

Une fois dans cette grande salle illuminée, dont il a fallut découvrir la mystérieuse entrée, le spectateur fait face à un champ de construction artistique. Des planches de bois, une maquette de paysages et d’autres objets insolites composent l’espace, faisant référence les uns aux autres et multipliant les mises en abîme. Au centre de la salle, on retrouve la même scène domestique que dans La perpendiculaire de l’horizon, mais ici, elle est clôturée par quatre murs blancs et donc rendue inaccessible au public. Un trou dans le mur et une échelle appuyée sur celui-ci sont les deux uniques angles de vue –des vues d’ensemble– sur ce qui semble être le produit fini de l’exposition. Tandis qu’il a directement accès à la maquette du paysage, le visiteur est maintenu à distance du cadre contenant l’illusion de la peinture. Cela crée un effet d’inversion entre le « ici » du salon et le « là-bas » du paysage, entre ce qui est accessible et ce qui ne l’est pas mais qui devrait l’être.

Mathieu Cardin a une vision : celle qu’ « il n’y a pas de distinction entre la fiction et le réel car la réalité n’est qu’une construction. Elle n’est que ce que la majorité a accepté comme telle. Il suffit de le réaliser pour tout faire changer. »


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