Aller au contenu

Oh mon Dieu, comme c’est curieux

Le succès de La Cantatrice chauve au Théâtre Sainte-Catherine.

Jean-Micheal Seminaro

La semaine dernière, la compagnie de théâtre indépendante Raise the Stakes présentait la pièce culte d’Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve, au Théâtre Sainte-Catherine. Quelques sceptiques se demandaient à quoi bon monter une énième fois cette pièce, lue et relue, vue et revue. Et bien, Anton Golikov, le metteur en scène, a magistralement justifié, devant nos yeux, cette représentation.

Comment donner du sens à La Cantatrice chauve, comment ordonner le spectacle auquel quelques happy few ont assistés, tant la pièce est portée sur le non-sens, l’absurde et la faillite du langage ?

Petit rappel : Mr et Mrs Smith habitent dans la banlieue de Londres, en Angleterre, et discutent du repas qu’ils viennent de manger. Madame tricote, Monsieur lit son journal anglais en fumant une pipe anglaise. Leur servante, Mary, interrompt leur non-discussion, leur annonçant que leurs amis Mr et Mrs Martin sont à la porte et viennent dîner chez eux. Déjà, on voit l’inutilité de résumer une telle pièce devant la vacuité ou pour ainsi dire l’inexistence de la narration. S’ensuivent les retrouvailles des époux Martin, quelques anecdotes absurdes, l’apparition du chef des pompiers, tout cela ponctué par les coups d’une horloge défaillante.

Soulignons d’abord le travail de mise en scène ineffable, par manque de superlatif, du metteur en scène Anton Golikov, qui s’est approprié sans retenue le texte de Ionesco. Avant toute considération d’ordre scénique, il faut souligner que la pièce est bilingue, alors que le texte de Ionesco est écrit exclusivement en français : Mr et Mrs Smith parlent anglais, comme leur servante, alors que Mr et Mrs Martin parlent français, comme le pompier. L’effet de comique est garanti. Dans le petit espace que constitue la salle du Théâtre Sainte-Catherine, le metteur en scène exploite toutes les possibilités, notamment l’espace extra-scénique. Ainsi, les acteurs quittent la scène à plusieurs reprises, mais pas leur personnage, pour s’installer dans le public, et l’impliquer à travers l’évidence du corps (comment réagir, ou comment ne pas réagir, quand Mr Smith —Paul Naiman— vous caresse les cheveux en se promenant dans les rangs?). Ces éléments participent à instaurer un certain malaise chez les spectateurs, un malaise qui est justement l’objet de la représentation théâtrale. Que ce soit plongé dans le noir ou lors de la scène de rencontre du couple Martin, dans laquelle les deux époux s’épient en silence pendant une bonne dizaine de minutes, le public éprouve une gêne, un sentiment que ce qui se déroule devant ses yeux n’aurait jamais dû arriver.

C’est là le génie de Golikov, qui, tout en jonglant avec le texte, a réussi à tirer l’essence de la pièce de Ionesco, qui représente un théâtre de l’absurde, de la non-communication, bref de l’«anti-théâtre » comme le qualifie la compagnie dans son dépliant de présentation. Notons, outre le formidable Paul Naiman en Mr Smith, le Français Hugo Prévosteau qui a démultiplié le personnage de Mr Martin, tantôt macho à la OSS117, tantôt caméraman efféminé, et l’Horloge, joué par Joseph Ste. Marie, qui multiplie les interventions loufoques et autres regards pervers. En fait, il faudrait aussi louer l’excellente performance d’acteur de Jean Serveau en chef des pompiers ainsi que les deux rôles féminins tenues par Michelle Langlois-Fequet et Chelsea Morgane. Très vite, on en arrive à l’implacable conclusion que l’ensemble de l’équipe était brillant, au service d’une mise en scène généreuse et pleine d’ingéniosité, qui a réussi à mettre en lumière le chef d’œuvre de Ionesco. Un seul regret peut-être, c’est que la pièce n’était présentée qu’une petite semaine au Théâtre Sainte-Catherine. En tout cas, Le Délit prend note et attend avec impatience la prochaine production de Raise the Stakes Theatre.


Articles en lien