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Sans limite

Certains étudiants n’hésitent pas à sacrifier leur santé pour obtenir de meilleures notes.

Les drogues dites « récréatives » fleurissent dans les milieux étudiants. 60% des 76 étudiants de McGill interrogés par Le Délit admettent en avoir déjà consommé, dont 21% au moins une fois par semaine.

De même, les ligues sportives universitaires font face à l’usage intempestif de stéroïdes par des athlètes en quête de performances toujours plus impressionnantes. Mais qu’en est-il d’un autre « type » de drogue, celui que certains surnomment le « stéroïde académique » ou Adderall ?

Amphétamine mon amour

L’Adderall n’est pas une drogue illégale, comme la cocaïne ou l’ecstasy. C’est d’abord un médicament utilisé afin de traiter le « Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité » ou TDAH (« ADHD » en anglais). Ce médicament répond au nom générique de « sels mixtes d’amphétamines à libération prolongée », et est prescrit uniquement sur ordonnance. Une fois prescrit, le dosage adéquat est long à mettre en place : il varie pour chaque personne et l’efficacité ainsi que la non-dangerosité de ce produit ne sont garanties qu’à condition de suivre scrupuleusement les recommandations d’un médecin. Autrement, l’usage intempestif de l’Adderall peut provoquer des effets secondaires comme de la nervosité, des troubles de l’appétit, une sécheresse dans la bouche, ou des changements d’humeur.

S-Adderral

Un étudiant en première année en Développement International à McGill, a indiqué au Délit avoir pris à plusieurs reprises de l’Adderall sans prescription, afin d’accroître sa concentration pour étudier en urgence. Il avoue avoir subi des effets secondaires : « j’étais assoiffé, très agité, et n’avais plus vraiment d’appétit. »

Il ne faut cependant pas négliger les étudiants souffrant réellement de TDAH, qui prennent de l’Adderall à des fins médicales. Une étudiante en troisième année en Développement International explique ainsi au Délit qu’à la suite d’un diagnostic précis établi par un psychologue, elle a été amenée à prendre de l’Adderall. Mais là aussi, malgré le suivi médical très précis, elle a expérimenté des effets secondaires :  « j’ai développé un trouble anxieux qui s’est aggravé avec les années. Je faisais des crises de panique assez terrifiantes régulièrement. J’ai longtemps cru que j’étais profondément anxieuse par nature et que le problème ne se résorberait jamais, puis j’ai fait le lien avec l’Adderall et j’ai arrêté d’en prendre. Le trouble anxieux a disparu et les crises de panique aussi. »

Selon les personnes, les effets secondaires peuvent donc être plus ou moins marqués. Mais, comme le rappelle cette étudiante, « même pour une personne qui a été diagnostiquée et qui est suivie par un médecin, il est très difficile de trouver le bon médicament, la bonne dose. On y parvient après beaucoup d’essais et d’erreurs. Une personne qui s’en procure sans l’avis d’un médecin prend le risque de consommer une dose aléatoire et l’effet peut être dangereux ».

En effet la structure chimique de l’Adderall, qui accroît la production de dopamine, est très proche de celle de la méthamphétamine.

Ainsi, l’Adderall ne serait pas quelque chose à prendre à la légère. Cet avis est confirmé par les spécialistes de la santé :  « les étudiants pensent que ces drogues sont plus sûres que les drogues de rue (comme la cocaïne ou la méthamphétamine par exemple, ndlr), mais en réalité leurs effets sont très similaires, et elles peuvent être hautement addictives », écrit Natalie Rich dans un article du journal Huffington Post (« Using study drugs to get higher grades : why you should think twice », du 9 avril 2013, « Solliciter les drogues pour obtenir de meilleures notes : pourquoi il faut y réfléchir à deux fois », traduction libre). En effet la structure chimique de l’Adderall, qui est un substitut à  la dopamine, est très proche de celle de la méthamphétamine. Pauline Vitte, étudiante en deuxième année de la Faculté de Sciences à McGill, explique ainsi que les effets secondaires sont variés et bien réels, et ce pour des raisons chimiques : les amphétamines présentes dans l’Adderall influent sur la libération de dopamine (cf. schéma), qui transmet entre autres les messages liés aux mouvements, à la concentration, à l’humeur et au sommeil.

Un usage détourné

Selon un sondage organisé par Le Délit, 25% des 76 étudiants de McGill interrogés reconnaissent avoir déjà pris de l’Adderall. C’est moins que le nombre d’étudiants ayant déjà consommé des drogues « récréatives ». Mais plus que les chiffres communiqués par le Département de la santé et des services sociaux des États-Unis, qui indiquaient que seulement 5% des Américains entre 18 et 25 ans avaient déjà utilisés des « drogues d’étude » (Adderall ou Ritalin). Ces chiffres sont néanmoins à relativiser, car ils ne prennent pas en compte uniquement des étudiants et datent d’il y a trois ans (2011). De plus, les étudiants de McGill ayant répondu  à notre sondage ont tout à fait pu prendre de l’Adderall de manière légale, ce que l’étude américaine ne prenait pas en compte.

Néanmoins, la production, et donc la consommation illicite (et même licite) d’Adderall et autres « drogues d’études » a fortement augmenté ces dernières années : rien qu’entre 1993 et 2001, la DEA (« Drug Enforcement Administration » –service de police fédéral américain) avait noté  une hausse de la production d’Adderall (et de Dexedrine, un médicament aux effets similaires à ceux de l’Adderall) de 5767%!

Cela soulève la question suivante : comment se procure-t-on un médicament sans avoir d’ordonnance nominale ? En effet, toutes les personnes prenant de l’Adderall n’ont pas été diagnostiquées avec un TDAH : selon une étude publiée dans le Journal of American College Health (« Illicit use of prescribed stimulant medication among college students, « L’usage illicite de médicaments prescrits par les étudiants d’université »), le TDAH touche « approximativement 3 à 7% des enfants scolarisés ». Bien moins que les 25% des 76 étudiants de McGill ayant admis avoir déjà consommé de l’Adderall dans le récent sondage du Délit.

Nous avons aussi pu contacter un étudiant en deuxième année de Mathématiques à McGill, qui nous explique qu’il a pu se procurer des pilules d’Adderall grâce à une ordonnance fournie par le Service de santé mentale de l’Université McGill, après seulement deux rendez-vous. Il les a utilisées en partie pour son usage personnel. Mais d’autres étudiants, ayant témoigné sur le site du quotidien le New York Times (dans le recueil de témoignages interactif « In their own words : Study drug », du 9 juin 2012) expliquent s’en être procuré de manière illégale, comme cette étudiante de Chicago : « comme la charge de travail grandissait, ma recherche d’Adderall commença. En moins de 24 heures j’avais cinq pilules en poche, pour simplement 5 dollars. » Son témoignage s’intitule « 5 dollars pour un A ». Les « dealers » d’Adderall sont nombreux, se le procurant eux-mêmes illégalement, ou comme l’étudiant en Mathématiques précédemment cité, via une ordonnance. Ce dernier nous explique qu’il vendait des pilules l’année dernière, et qu’une seule d’entre elles pouvait se vendre jusqu’à 20 dollars. « La demande était beaucoup plus forte pendant les examens », ajoute-t-il.

Une réponse à la pression ?

Les étudiants ne prendraient pas de drogues d’études si la charge de travail et le niveau de stress auxquels ils sont soumis étaient normaux, et non pas aussi exagérés.

Les raisons d’un tel phénomène qu’on qualifie de « dopage académique » résident tout d’abord dans l’impression grandissante qu’ont les étudiants devant une charge de travail qu’ils jugent trop importante. Face à ce qui leur est demandé et la prise de conscience qu’ils ne seront pas capables d’atteindre les objectifs fixés dans les délais impartis, certains étudiants se résolvent à augmenter leur capacité de concentration a l’aide d’une drogue. Cette augmentation de leur propre productivité est purement artificielle et temporaire, mais sert aux étudiants à atteindre leurs objectifs tant qu’ils sont sous l’influence de ce psychostimulant.

Si le stress des étudiants apparaît comme responsable du phénomène Adderall, faut-il remettre en question le cadre dans lequel ces étudiants évoluent ? La question doit se poser : les étudiants de nos jours sont-ils poussés a bout ? C’est en effet ce que pense un des étudiants ayant répondu anonymement au sondage du Délit : « les étudiants ne prendraient pas de drogues d’études si la charge de travail et le niveau de stress auxquels ils sont soumis étaient normaux, et non pas aussi exagérés », commente-t-il. Cet avis est appuyé par 11% des personnes interrogées par Le Délit (sur 76 au total). En entendant parler d’un tel phénomène, on serait poussé à croire que l’étudiant lambda est submergé de toutes parts par des échéances. On pourrait s’attaquer au système qui préfère favoriser un apprentissage par cœur nécessitant de longues heures de travail et une concentration infaillible, plutôt que d’en appeler à l’aspect critique de l’étudiant, comme étant la cause de cette charge de travail trop importante. Un système qui pousse les étudiants à accumuler les nuits blanches en préparation aux examens. C’est le cas pour l’étudiant de première année en Développement International cité précédemment qui commente : « je prenais de l’Adderall toujours quand j’avais un examen le lendemain et que je devais étudier à la dernière minute, ou quand j’avais un projet à finir ! ».

Quelques milligrammes d’ambition

La charge de travail n’est pas le seul facteur à l’origine de ce stress qui pousse des étudiants à consommer des amphétamines. Il y a également l’envie de réussir qui est assez forte pour pousser ces étudiants à la consommation. Une volonté d’être parmi les meilleurs qui pousserait un individu à rendre toute sa capacité de concentration dépendante d’une pilule plutôt que de la soumettre à sa volonté personnelle. Lorsqu’on connaît les abus dérivant d’une telle consommation (mentionnés auparavant), il faut être très ambitieux pour être prêt à faire ce pari. Dans l’article du New York Times à propos de l’Adderall, une étudiante de vingt ans d’Atlanta explique que « l’Adderall fournit aux étudiants un A sans difficulté, et, lorsqu’il faut choisir, la plupart abandonnent leurs principes pour être capable de faire une nuit blanche quand il le faut afin d’obtenir ce GPA de 4.0 » (traduction libre). Cela ne s’applique qu’aux consommateurs réguliers et non pas aux simples curieux s’étant soumis à l’épreuve dans le seul but de tester son efficacité.

Ce phénomène n’est-il donc pas aussi la conséquence d’une ambition de plus en plus pathologique, chez les étudiants, poussant à n’importe quels excès lorsqu’il est question de réussite. Ce rehaussement des attentes des étudiants est-il dû à la crise économique qui les a frappés au moment même où ils définissaient justement leurs attentes professionnelles ? Une crise qui les a rendus victimes d’une récession économique et d’une compression du marché du travail : d’après le Forum économique mondia, le chômage chez les jeunes en Amérique du Nord était de 17,4% en 2012 (les États-Unis ont par exemple vu le taux de chômage des 15–24 ans augmenter de cinq points de pourcentages, selon l’OCDE, entre 2007 et 2012). Ces individus se voient donc confrontés à une compétition plus importante et se doivent d’être plus performants que les autres. La prise d’Adderall est donc la conséquence directe d’une génération d’étudiants qui a de plus en plus peur quant à son futur bien-être. Une génération désabusée qui sait désormais que seul le meilleur gagne, et qui est parfois prête à tout pour être élu.

Concurrence déloyale

Pour l’instant, le Code de conduite de l’étudiant et des procédures disciplinaires de McGill ne traite pas ce sujet : dans la catégorie « tricherie », seuls sont sanctionnés le plagiat, l’usurpation d’identité et l’usage d’une aide extérieure pendant un examen.

Consommer de l’Adderall constitue tout de même une sorte de dopage. Beaucoup de gens considèrent cela comme de la triche vis-à-vis de ceux qui n’en consomment pas et qui n’ont que leur volonté personnelle pour les garder attentifs de longues heures : d’après le sondage réalisé par Le Délit, 48% des gens estiment que l’Adderall est un problème car il crée un déséquilibre entre les étudiants. Quel est le mérite à être le meilleur si on doit sa réussite à une petite pilule bleue ? Cependant, de nos jours, il semble que le mérite n’a plus tellement d’importance, il s’agit avant tout de s’approprier cette première place tant désirée, ne serait-ce que pour une bourse. Ou, à terme, afin de permettre à son détenteur de bénéficier de la sécurité de l’emploi.

Ce phénomène a donc comme conséquences de grandes inégalités entre les étudiants consommant cette drogue et ceux qui ne la consomment pas. Plus il se répandra, plus cela deviendra un problème auquel l’administration universitaire devra apporter une solution. Pour l’instant, le Code de conduite de l’étudiant et des procédures disciplinaires de McGill ne traite pas ce sujet : dans la catégorie « tricherie », seuls sont sanctionnés le plagiat, l’usurpation d’identité et l’usage d’une aide extérieure pendant un examen. Mais quelle réponse apporter ? Aucun étudiant n’a envie de se voir soumis à un test de drogue avant d’entrer dans sa salle d’examen.

De plus, si on laisse perdurer ce « dopage », les notes d’un étudiant ne reflèteront plus sa productivité réelle, à moins que l’individu ne soit prêt à passer le restant de sa vie active dépendant à l’Adderall pour pouvoir être efficace au travail. C’est le cas de cet homme de  vingt-huit ans, originaire de Virginie, qui témoigne sur le site du New York Times : « j’ai gradué avec les honneurs, obtenu un bon travail et suis devenu un adulte. Et vous savez-quoi ? Je prends encore de l’Adderall tout le temps. » Mais il avoue que « ce n’est vraiment pas génial ».

S’il n’y a plus de relation entre la réussite académique et la productivité de l’individu, alors c’est tout le système éducatif qui est rendu inefficace. Le système universitaire tel que nous le connaissons ne cherche pas tellement à fournir les individus qui ont le mieux appris leurs cours mais plutôt à piocher et mettre en avant ceux qui sont les plus productifs. On ne cherche pas tellement une bonne connaissance mais une méthode efficace d’apprentissage. Bien sûr, tout est relatif, la formation de l’étudiant dans son champ d’étude demeure aussi une priorité. Ainsi, si la charge de travail est trop importante c’est que la façon de travailler n’est pas la bonne. Cependant, prendre une pilule n’est pas la solution au problème, l’individu verra sa valeur productive indexée à la consommation de ce psychostimulant dont il peut finir dépendant.

 

Comment l’Adderall agit sur le corps humain – explication de Pauline Vitté

schema adderral

L’Adderall agit sur plusieurs neurotransmetteurs, comme par exemple l’épinéphrine (ou adrénaline) et la dopamine. Les individus atteints de TDAH souffrent parfois d’une insuffisance ou sous-activité de dopamine.

La dopamine est un neurotransmetteur, c’est-à-dire une molécule relâchée par des axones dans la fente synaptique, qui, une fois liée à son récepteur, déclenche des réponses physiologiques : elle régule les mouvements, le sommeil, l’humeur, le métabolisme, mais aussi l’attention, la concentration et l’apprentissage.

L’Adderall augmente les effets de la dopamine par deux moyens. Premièrement, du fait de leurs structures chimiques très proches, l’Adderrall a la capacité de se lier aux récepteurs de dopamine, palliant les lacunes de cette dernière, et empruntant ses effets. Deuxièmement, l’Adderall empêche aussi l’action d’autres molécules habituellement chargées d’isoler la dopamine dans la fente synaptique afin d’empêcher les molécules de dopamine de se lier à leurs récepteurs.

Par ces deux effets, l’Adderall augmente les réponses physiologiques normalement assurées par la dopamine, augmentant ainsi la concentration et l’attention lors de l’apprentissage, et peut entraîner un sentiment d’extase. Mais sa prise est donc souvent accompagnée d’effets secondaires tels que la perte de poids, l’insomnie, un métabolisme accru ou encore un appétit réduit.

 


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