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Cru et déroutant

Unseamly d’Orer Safdie au Bain St-Michel.

Troublante, franche et surtout terriblement humaine, la nouvelle pièce du dramaturge montréalais Oren Safdie, présentée par Inifinithéâtre au Bain St-Michel, cherche à questionner le spectateur sur sa définition du bien et du mal, et ce, sans le nourrir de réponses préconçues.

« Vis au-dessus de tes moyens et tu vivras à la hauteur de ton potentiel » recommande Ira Slatsky, PDG multimillionnaire d’une grande chaîne de magasins de mode pour jeunes femmes, à son employée. Cette réflexion traduit l’avidité, l’hédonisme et la cupidité d’un prédateur qui se croit tout permis. Unseamly traite d’un sujet délicat et controversé, soit le harcèlement sexuel dans le milieu hypersexualisé de la mode et de la vente au détail. Une vendeuse ambitieuse de dix-sept ans, née de parents migrants, sollicite une rencontre avec le grand patron de l’entreprise dans le but d’obtenir une promotion. La mauvaise réputation de ce dernier au sujet de relations inappropriées avec ses jeunes employées souvent vulnérables le précède, mais Malina est prête à jouer le jeu. L’est-elle vraiment ? Deux ans plus tard, la protagoniste, qui a cessé de travailler pour la grande chaîne, rencontre un avocat dans le but d’entamer des démarches judiciaires contre son ancien patron.

Dans Unseamly, la victime n’est pas que victime, le bourreau n’est pas que bourreau et le héros n’est pas que héros. Chaque personnage est à la fois bon et mauvais, chacun cherchant à partager sa vérité, tantôt déformée, tantôt magnifiée. Certains prendront le parti de Malina qui, si jeune et si naïve, a développé au fil de la relation malsaine avec Ira un syndrome de Stockholm, acceptant la façon dont il la traitait. D’autres défendront Ira, qui n’a fait que profiter du consentement de son employée pour développer une liaison sans jamais la forcer.

Ainsi se veut la plume de Oren Safdie : multidimensionnelle, crue, déroutante, pour que chacun se demande quelles sont les limites acceptables du flirt, du sacrifice professionnel, du pouvoir. Même Adam, l’avocat, est profondément humain, déchiré entre son désir de défendre une juste cause et le pessimisme sur l’issue d’une telle poursuite. Et lui aussi se demande si, après tout, la faute du harcèlement ne revient pas à Malina, qui semble avoir tout fait pour mériter un tel traitement ?

La pièce, mise en scène conjointement par Sarah Carlsen et Guy Sprung, orchestre avec brio des outils multimédia et la musique ainsi qu’un environnement industriel simple et efficace. La salle en soi est fascinante, puisque le Bain St-Michel ne peut accueillir que cent cinquante spectateurs, suscitant une ambiance intime. Les comédiens sont époustouflants, en particulier Jonathan Silver dans le rôle d’Ira.

Montréal peut être fier d’accueillir à nouveau un de ses plus grands dramaturges, qui travaille depuis plusieurs années aux États-Unis, notamment à New York où il a organisé le premier festival de théâtre canadien de la ville. Le texte de Safdie est extrêmement riche, dénué d’artifice, et traite d’une problématique contemporaine reflétant le sexisme et la hiérarchie qui existent dans la plupart des entreprises et où les jeunes femmes, notamment issues de l’immigration, sont trop souvent perdantes.


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