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Fait d’hiver

Marilyn Perreault signe sa première mise en scène avec Ligne de bus.

Eugène Holtz

La Société de Transports de Montréal (STM) ne va pas bien en ce moment. Les vélos Bixi sont en passe de disparaître, le bus 747 allant à l’aéroport a réduit son nombre de passages quotidiens par contrainte financière et, le 4 février dernier, des centaines de passagers ont été bloqués entre les stations Sherbrooke et Mont-Royal pendant plus d’une heure. La fiction montée par Marilyn Perreault, cofondatrice du Théâtre INK, depuis le même 4 février (au Délit, on soupçonne plutôt un coup monté), aux Écuries s’inscrit dans cette lignée tragique.

La trame de la pièce prend place dans un autobus de ville. Une quarantaine de passagers, victimes du destin, y meurent. Il ne s’agit cependant pas d’un accident sur les routes enneigées de Montréal mais bien d’un acte criminel, d’un attentat à la bombe. Parmi les défunts ressuscités pour la pièce, six protagonistes, trois hommes et trois femmes, auxquels vient s’ajouter la metteure en scène elle-même dans le rôle de la coroner (médecin-légiste, ndlr) chargée de l’enquête. Par une mise en scène interactive, la coroner se place au milieu puis derrière le public, invitant ainsi les spectateurs à suivre l’enquête pas à pas. De Sandy la collégienne, à Jimmy Abdallah le cosmopolite, ce sont des personnages attachants, de par leur banale humanité, qui apparaissent sur scène. Ainsi, chaque spectateur s’identifie, se glisse dans la peau et la tête de ces victimes inopportunes tout en découvrant leur passé, leurs espoirs et leurs craintes.

Sur le plan technique, Maryline Perreault fait preuve d’une grande créativité dans sa mise en scène. Ligne de bus se démarque notamment par une belle performance acrobatique des acteurs qui utilisent la carcasse de l’autobus comme scène de danse, ses barres comme accessoires gymnastiques et sa décomposition au fur et à mesure de la pièce comme métaphore de l’explosion. Sans en entraver la poésie, l’usage subtil des arts multimédias accompagne parfaitement le déroulement des faits et confère un aspect moderne et dynamique. De plus, l’énergie des acteurs est bien exploitée grâce à une bande sonore juste, variée et stimulant le suspens intrinsèque à la pièce. On notera cependant une transition parfois bancale entre les tableaux avec des acteurs appelés à remplir plusieurs rôles différents, rendant un scénario, pourtant simple, plus complexe sans pour autant apporter grand-chose à l’intrigue.

Finalement, Marilyn Perreault utilise le thème de la tragédie, susceptible d’arriver à tous, pour s’attaquer aux thèmes de société, qui concernent chacun. De fait, chaque personnage dénonce par son histoire notre difficulté à vivre en communauté : le divorce et ses conséquences, la xénophobie dans un monde « globalisé », le tabou de la maladie mentale, mais, enfin et surtout, les préjugés et le regard porté sur les autres et sur notre environnement. On y perçoit une critique du renfermement sur nous-mêmes, le regard vissé sur des téléphones portables sur lesquels défilent nos conversations, et notre indifférence pour autrui. Un renferment physique donc, mais aussi, et pire encore, moral et sentimental. De manière plus large, on y décèle une condamnation du racisme, des médias sociaux et de l’exclusion sociale.

Cette pièce, bien que très divertissante, notamment par sa mise en scène exceptionnelle, nous plonge ainsi dans une véritable réflexion sur nous-même et sur l’évolution de notre société via des comédiens qui pourraient être n’importe lequel d’entre nous, ou notre voisin.


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