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12 Years a Slave : « Meilleur film ? »

Sur les jugements futurs et passés de l’Académie.

La course aux Oscars de 2014 prendra fin le 2 mars prochain et l’un des favoris dans la catégorie du « Meilleur film » est 12 Years a Slave, du réalisateur britannique Steve McQueen.

 

L’histoire est basée sur le livre autobiographique du même nom de Solomon Northup. Ce charpentier et violoniste Afro-Américain était un homme libre jusqu’en 1841, où il est kidnappé et vendu à des négriers du sud des États-Unis pour devenir esclave pendant douze ans.

 

Les films de Steve McQueen ne font, de manière générale, pas dans la dentelle et abordent des thèmes difficiles. Dans 12 Years a Slave, son troisième long-métrage, la réalisation et la mise en scène sont magnifiques. McQueen joue beaucoup avec la lumière et les ombres, pour créer un contraste entre l’enfer et le ciel. Les parallèles entre le passé et le présent sont minimes, mais finement exécutés. L’utilisation des gros plans sur ses comédiens y est excellente et le réalisateur présente de nouveau la nudité sans aucune forme de pornographie.

 

Tous les acteurs de 12 Years a Slave sont merveilleusement dirigés et sélectionnés. Même pour des personnages bien secondaires, on retrouve d’excellents acteurs comme Paul Giamatti, Brad Pitt (également co-producteur) et Paul Dano. Deux interprètes doivent avant tout être mentionnés : Chiwetel Ejiofor (Solomon Northup) et Michael Fassbender (Edwin Epps).

 

L’acteur anglais Chiwetel Ejiofor interprète un personnage complexe et difficile. La direction de McQueen et son jeu d’homme libre et éduqué devenant la propriété d’autrui est tout simplement superbe. Il joue avec brio l’impuissance, l’instinct de survie et la soumission d’un homme à la fois en colère et découragé de son injustice, qui doit choisir entre survivre ou se battre.

 

Michael Fassbender, qui en est à sa troisième collaboration avec Steve McQueen (après Hunger et le superbe Shame) est effrayant dans le rôle d’Edwin Epps, le deuxième « propriétaire » de Solomon. L’acteur irlandais interprète un homme purement sadique, diabolique, sans aucune empathie et surtout, terrorisant.

 

12 Years a Slave est violent, mais on est loin des films de Tarantino. La violence y est physique (le maquillage et les effets sont splendides), et psychologique, autant pour les personnages que les spectateurs. Le mauvais traitement et la torture des esclaves y sont représentés avec tant de réalisme que le spectateur ressent la suffocation et le désespoir des personnages. On lui raconte une histoire en le prenant par la gorge, en lui pointant du doigt les erreurs du passé, sans détour ni excuse.

 

La magnifique musique, composée par Hans Zimmer, rappelle ses compositions pour Inception (Christopher Nolan, 2010), et utilise des thèmes très sombres. La bande sonore renforce le sentiment d’oppression et de peur par une utilisation poussée des percussions et des basses, qui est interrompue par des thèmes aux cordes, plus apaisants et mélancoliques.

 

Ainsi, qu’en est-il de la possibilité de 12 Years a Slave de remporter la statuette du « Meilleur film » le 2 mars prochain ? Tout est possible, mais ce n’est pas gagné d’avance. La cuvée des Oscars de 2014 se distingue majoritairement par des films inspirés de faits réels. En effet, six des neuf films en nomination sont basés sur des faits vécus, un thème prisé par l’Académie, soit :12 Years a Slave, American Hustle, Captain Philips, Dallas Buyers Club, Philomena et The Wolf of Wall Street.

 

Toutefois, au cours des dernières années, l’Académie a principalement récompensé des films « patriotiques ». En 2010, le prix est remporté par l’excellent Hurt Locker, qui parle des démineurs militaires en Irak. L’année suivante, c’est The King’s Speech, racontant l’histoire du Prince Georges VI qui a réussi à surmonter l’adversité et son problème de bégaiement afin de devenir roi et diriger le Royaume-Uni durant la guerre. En 2012, c’est sans grande surprise que le simpliste The Artist remporte l’honneur ultime. Finalement, l’année dernière, c’est le banal Argo qui remporte l’Oscar au lieu de l’excellent Zero Dark Thirty.

 

En fait, la lutte entre Argo et Zero Dark Thirty démontre la tendance de l’Académie à privilégier les films avec une fin heureuse et/ou une belle morale. Le premier fut sévèrement critiqué pour ses erreurs factuelles, comme par exemple en donnant un rôle bien mineur au gouvernement canadien lors de la prise d’otages de Téhéran. Zero Dark Thirty était beaucoup plus réussi autant au niveau du scénario, des interprétations et de la réalisation. Toutefois, le film présentait un côté sombre des États-Unis, en particulier l’utilisation de la torture sur des détenus de guerre. De plus, certains hommes politiques américains, dont le sénateur John McCain, ont attaqué ouvertement le film et ses artisans pour, entre autres, avoir obtenu des documents confidentiels du gouvernement et valorisé l’utilisation de la torture.

 

Somme toute, 12 Years a Slave mérite selon moi de gagner le prix du « Meilleur film ». Il est supérieur en réalisation, interprétation et scénario que ses concurrents. Le projet, dans son ensemble, créé un impact majeur sur le spectateur, qui en sort troublé. Il le prend par la gorge en lui exposant sans détour une histoire dure mais très réaliste. Toutefois, son thème couvrant un pan peu glorieux de l’histoire américaine ne risque pas d’enchanter les membres de l’Académie. 12 Years Slave est un film qui est difficile à regarder et qui laisse une trace. Sa violence physique et psychologique immerge le spectateur dans le milieu de l’esclavage avec beaucoup de brutalité. C’est un film qui fait mal et bouleverse, mais qui est si beau.


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