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Que justice soit faite

« L’urgence de la jeunesse » met le feu aux planches du Cabaret du Mile-End.

Claire Launay

« La jeunesse est une maladie bourgeoise » affirmait Jean-Paul Sartre dans sa pièce Les mains sales. La pièce de théâtre Les Justes d’Albert Camus, présentée au Cabaret du Mile-End mardi dernier, est une sorte de réponse à cette œuvre du grand existentialiste. Ces deux pièces questionnent les difficultés de conserver les idéaux de l’honneur et de l’intégrité au travers d’une entreprise révolutionnaire qui ressent le besoin de violence pour parvenir à faire changer les choses. Dans la pièce de Camus, située dans la Russie du début du 20e siècle, les personnages entreprennent d’assassiner un Grand-Duc, afin d’entamer une révolution destinée à mettre fin aux misères du peuple asservi. L’œuvre s’interroge sur la valeur de la vie humaine et du prix à payer pour obtenir une justice trop souvent équivoque.

La mise en scène est sobre et efficace ; le décor se contente de chaises et d’une table, au fond de la scène, sur un rideau noir, sont accroché des cadres vides. Les costumes évoquent assez bien l’époque, sans engoncer les acteurs ou détourner l’attention de leur jeu. Ce dernier est convaincant, malgré l’absence d’expérience professionnelle des acteurs ; les débats politiques sont enflammés, les plaidoyers larmoyants et les comédiens savent conserver leur énergie tout au long d’une pièce qui comporte très peu de moments légers. Au piano, une musicienne accompagne le début ainsi que la fin des actes avec des sélections classiques au caractère grave et solennel, allant de pair avec les sentiments de la pièce.

Le 21 janvier dernier, la fébrilité et l’enthousiasme de la jeunesse transpirent avant même le début du spectacle dans l’atmosphère d’un Cabret du Mile-End plein à craquer. « On ne s’attendait pas à autant de monde », a révélé Romy Léger-Daigle, la pianiste du spectacle, au Délit, à la fin de la performance, encore toute étonnée du succès retentissant de l’entreprise. « Avant le début du spectacle on courrait dans les coulisses pour trouver plus de chaises pour asseoir les gens. » Un simple coup d’œil sur le programme suffit pour saisir le caractère tout à fait inédit et spontané de l’entreprise. Dans son mot adressé au spectateur, le metteur en scène Alexandre Petitclerc fait part de sa profonde admiration pour Camus et la « vertigineuse magnificence » de sa prose. La passion révolutionnaire qui anime les personnages de la pièce semble s’être déplacée des pages du livre pour venir habiter la troupe encore toute fraîche de sa création.

Rien d’autre n’est venu motiver cette mise en scène, hormis le profond désir de faire du théâtre. Désir partagé par ce groupe d’amis à qui cette activité manquait depuis l’entrée au cégep de certains. Les répétitions initiales avaient lieu dans les parcs et les salons. Les rencontres se déroulaient dans ce lieu typique et propice à l’art : le café, où les notes étaient griffonnées, bien évidemment, à l’encre sur les serviettes en papier disponibles. C’est donc une production de peu de moyens qui, à force de travail et de persuasion, a réussi, sans aucune expérience préalable, à se hisser sur les planches d’une scène importante de Montréal.

En ouverture du spectacle, le metteur en scène rappelle aux spectateurs les événements qui se déroulent présentement en Ukraine afin de rappeler l’actualité encore poignante des enjeux que Camus présente dans sa pièce.  Son allure, jeunesse ardente, cheveux longs et chemise rouge, s’allie déjà aux propos exalté de la pièce. Puis la troupe commence, hésitante au départ, puis de plus en plus assurée, pour finir par donner une performance criante  d’honnêteté et de ferveur trop souvent absentes dans bien des théâtres professionnels.

Au final, cette mise en scène, étonnamment bien réussie pour son peu de moyens, prouve que le théâtre est un art vivant, et plus encore, un art éternellement jeune.


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