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L’oxymore revisité

Le 15e « Beaux Dégâts » continue de donner une nouvelle dimension à l’art collectif.

Cécile Amiot

Le 29 janvier dernier, artistes, DJs, amateurs de convivialité et de Beaux Dégâts se sont rassemblés de nouveau aux Foufounes Électriques. Beaux Dégâts, c’est tout d’abord la continuité du projet de Fresh Paint Gallery : offrir un espace pour que les artistes de rue s’expriment et ainsi démocratisent cette forme d’art. Le principe de l’événement reste le même en cette 15e édition : chaque équipe d’artistes choisit un thème mais s’en voit imposer un second. Ce soir-là, Géronimo, Buffalo Bill, David Crocket et autre Billy the Kid font office de source d’inspiration. Ils ont alors uniquement deux heures pour créer une œuvre devant les yeux émerveillés d’un public très divers qui, pour voter, lance négligemment sa bière terminée dans la poubelle du groupe de son choix. La salle se remplit peu à peu, les artistes se mettent à peindre et soudain l’ambiance change. Chacun se lève, et part déambuler dans cet anti-musée où les œuvres éphémères rappellent les façades colorées des murs montréalais.

L’éphémère en effet, caractéristique de l’art de rue, se voit transposé dans un lieu clos où la nature de la performance change radicalement, pour devenir spectacle. Certains participants n’hésitent pas à se cacher derrière des masques vénitiens, protecteurs d’anonymat mais aussi accessoires de jeu. Les artistes ici vivent leur art d’une manière particulière, comme l’explique l’un des membres du collectif 203, vainqueurs de cette édition. « Dans la rue on recherche quelque chose de différent, c’est de savoir qu’on va investir un endroit où on ne nous attend pas. D’habitude les gens qui apprécient mon art, je ne les vois jamais. Ici ça fait du bien d’avoir directement le regard du public, d’être présent lors de leur découverte de l’œuvre. Ça fait du bien à l’égo. » Beaux Dégats, une histoire d’égo ? Plutôt une histoire de partage et de reconnaissance : les artistes, tous en équipe, doivent s’accorder sur une esquisse que leur inspire leurs thèmes, puis évoluer ensemble sur leur panneau. Sans se heurter ils se complètent, dans un mouvement fluide, comme une danse sur la toile. L’échange ne s’arrête pas là. Si les peintres sont au centre de l’attention, les DJs qui se succèdent introduisent une résonance entre art visuel et musique, qui se répondent l’un l’autre.

C’est aussi une rencontre, entre les artistes eux-mêmes, qu’on voit discuter de leurs différents projets lorsqu’ils lavent leurs pinceaux une fois le verdict rendu.

Plus qu’un accès privilégié et original à l’art, c’est une véritable expérience sensorielle, sociale et humaine qu’offre Beaux Dégâts. Comme nous l’indique Adrien Fumex, organisateur, « la valeur de l’événement tient dans le moment que tout le monde partage. Les œuvres comptent, évidemment, mais c’est une célébration de chacun : artistes, DJs, bénévoles, public. C’est une manière de connecter les gens entre eux ». Connecter, échanger, partager : triptyque d’une ambiance qui bouillonne. Entre artistes initiés et étudiants venus profiter « de la bonne musique et des bières pas chères », le dialogue s’engage. « Tu préfères lequel ? » ; « T’as déjà voté ? », le public se découvre commentateur du processus créatif, devenant pour une soirée juge dans une galerie d’art pas comme les autres. La clé de cet événement est donc le partage du moment vécu et non pas l’œuvre en elle-même. Si de nombreuses personnes ont déjà essayé d’en acquérir une, toutes ont fait face au même refus, car ici les œuvres ne sont pas à vendre. Pire, elles seront recouvertes de blanc pour laisser place au spectacle et aux talents de l’édition suivante. Les Beaux Dégâts s’offrent à tout le monde, mais n’appartiennent à personne.

Si Adrien Fumex s’avoue ravi du succès du projet, il rappelle que sa force tient dans son aspect communautaire et que si l’événement s’étend à un trop grand public, plus intéressé par le nom que par son propos, cela signera sa fin. Alors que le nom de Beaux Dégâts se propage dans les discussions mcgilloises, on peut s’interroger sur son avenir. Beaux Dégâts sera-t-il victime de son succès ?


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