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Ciel, mon mari !

AUTS et The Drowsy Chaperone triomphent du pathétique à Moyse Hall.

Fiona Ross

On entre, on sort, on chante, on danse, on cherche quelque chose et on ne trouve rien, tout est en rumeur. Un mariage est sur le point de se conclure et ne se conclut pas, un Don Juan bouffon du nom d’Adolfo courtise le chaperon au lieu de la fiancée, tandis que le fiancé fait du patin à roulettes les yeux bandés et embrasse une Française à l’accent douteux. On entre, on sort, on chante, on danse, on cherche de plus belle. Cette intrigue n’a pas de sens. Peu importe ! Elle fait la joie d’une femme dans son fauteuil, celle qui écoute la pièce dans son salon et nous la fait partager depuis son étrange solitude.

Pour réfléchir sur l’essence même du genre de la comédie musicale, Fiona Ross a touché juste en montant The Drowsy Chaperone avec la Arts Undergratduate Theatre Society (AUTS). L’intrigue en est simple : une femme (Jami Price), décide, un soir où elle se sent mélancolique, d’écouter son vinyle de The Drowsy Chaperone et d’expliquer au spectateur pourquoi il s’agit de sa comédie musicale préférée, avec le nombre d’arrêts sur image et d’explications qu’une telle argumentation peut impliquer. L’intrigue imbriquée ‑par une volontairement grossière mise en abîme- est tout ce qu’il y a de plus vaudevillesque, cocasse, farfelue, et pathétique, au point où tout cela est risible mais irrésistiblement drôle.

Il s’agit tout bonnement d’une histoire d’amour, comme seuls les Broadway des années 1920 pouvaient en créer : un resplendissant Robert Martin (Natalie Aspinall) doit se marier dans l’heure avec Janet Van de Graaf (Colby Koacher), une ultra-modeste star d’Hollywood. Parmi les invités à la noce se trouvent le très sérieux témoin du fiancé, Georges, et l’extravagante et voluptueuse chaperon de la fiancée (Vanessa Hunitec). Ajoutons à cela des starlettes jalouses, des producteurs véreux, des pâtissiers-gangsters, une maîtresse de maison, son boy et un aviateur. Résultat des courses : quatre mariages, nul enterrement, et une lune de miel groupée à Rio de Janeiro (prononcez « Janeir’»)! Ne nous demandez pas comment un tel compte s’obtient, nous n’avons fait qu’assister au spectacle.

La palme revient-elle à Jami Price, dans le personnage de la femme au fauteuil ? Son jeu est intrigant, vous fait sourire mais ne parvient pas à vous donner l’extase, elle nous est trop semblable, c’est peut-être là sa force. Elle domine la distribution de par sa position en avant-scène, s’efface devant elle avec discrétion, pour ensuite revenir commenter l’intrigue avec humour et passion. Enfin, cette question de la palme ne se poserait pas s’il n’y avait deux autres actrices.

Figurez-vous plutôt n’importe quelle égérie des années folles, c’est Colby Koacher qui apparaît. Une voix juste et légère, l’allure d’un oiseau et la polyvalence d’un commercial. Ajoutez à cette égérie ce je-ne-sais-quoi qui fait de Johnny Depp un pirate charmant (une certaine capacité à lever le coude?), vous avez Vanessa Hutinec. Elle rassemble à elle seule un chant puissant et subtil, une démarche titubante mais décidée et surtout un timing impressionnant qui font d’elle une chaperone des plus divertissante. Clous du spectacle, ces vedettes de soirées sont suivies de très près par un Adolfo hilarant en la charmante personne de Chelsea Wellman et un Robert campé par une Natalie Aspinall énergique.

Le fameux théâtre dans le théâtre, voilà un procédé bien rôdé par une équipe au jeu de groupe solide, et Dieu sait s’il faut de la coordination pour faire danser et chanter dix-neuf comédiens ensemble sur une scène ! Si le premier acte prend son temps à démarrer, le reste du spectacle est un délice. Les chorégraphies de Debbie Friedman sont réussies, car à la fois humoristiques et techniques. Elles rythment le spectacle et lui donnent son allure enjouée, débordante et rieuse. Une mention toute spéciale revient à Natalie Aspinall et Kaitlin Carmanico, dont le numéro de claquettes sur « Cold Feet » en a retourné plus d’un dans la salle.

Wilber Tellez, dont les costumes vous laissent pantois, a une fois de plus réussi son affaire puisqu’il collabore avec AUTS pour la deuxième année consécutive. Où diable voulez-vous trouver des robes dignes d’un Broadway de 1928 ? Il faut bien les faire ! Monsieur Tellez s’en charge, et particulièrement bien pour ce qui est de l’attirail de Janet Van De Graaf. En ce qui concerne les décors, l’affaire est sobre : un fond inchangé d’un jaune un peu douteux mais réservant quelques surprises acrobatiques, qui permet aux actrices (un seul homme dans toute la distribution, qui ne l’emportera pas) d’aller et venir comme dans une maison où l’on prépare une noce.

Alice Escande, une honnête étudiante interrogée à la fin du spectacle avoue que la mise en abîme a le pouvoir de « nous réveiller un peu parfois, par un regard ironique, cynique, nous permettant de nous rendre compte du ridicule de l’action principale ». Les commentaires parfois cinglants de la femme au fauteuil sur l’intrigue, avaient en effet le don comique dont nous fait part cette jeune femme.

Pour les amateurs du Moyse Hall, d’aucuns savent la difficulté de faire fonctionner sa machine sonore de façon adéquate. Après une ouverture un peu forte, les micros se sont ajustés à l’orchestre et nous ont régalé d’un spectacle « équilibré », à deux détails près. Mais ce n’est pas tout, car parler de son de façon ingénieuse et omettre la partition ne serait rendre justice à Carolyn Barr et Rae Glasman qui mènent avec brio un ensemble jazz harmonieux, au groove des plus aiguisé.

Une comédie musicale qui avait bien fait ses 500 représentations à Broadway nous a fait l’insigne honneur de passer à McGill. Parodie du genre, éloge du musical, rieuse, cynique, taquine, The Drowsy Chaperone fut tout cela à la fois, merci à AUTS de l’avoir partagée !


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