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Dans la peau d’un comédien

Moi, Feuerbach invite à réfléchir au théâtre Prospero. 

Matthew Fournier / Théâtre Prospero

Dix-huit ans après sa première mise en scène en Amérique du Nord, la pièce Moi, Feuerbach du dramaturge allemand Tankred Dorst est à nouveau présentée au théâtre Prospéro.

Feuerbach (Gabriel Arcand) est un comédien d’un certain âge, qui n’a pas foulé les planches depuis sept ans. Il se présente chez un metteur en scène pour passer une audition, mais il n’est toutefois reçu que par le jeune assistant de ce dernier (Alex Bisping).

La pièce est construite autour du dialogue entre ces deux hommes qui attendent. On l’a compris : le metteur en scène, tel Godot, ne viendra pas. En fait ce n’est qu’à la toute fin qu’il fait son apparition (mais toujours invisible, en régie) et qu’il daigne écouter Feuerbach. Le comédien récite alors un texte incompréhensible. Il bafouille, se perd et rate complètement son audition.

Mais pour Feuerbach la véritable audition a eu lieu bien avant. C’est pendant l’attente, interminable, que l’homme fait réellement preuve de son talent. Dès lors qu’il met les pieds sur scène, il reprend son habit de comédien et retrouve toutes les émotions liées à son ancien métier. Alors en attendant, il tente d’impressionner l’assistant, de le convaincre. Il raconte des anecdotes, récite des vers de Goethe ou des incantations en italien.

Devant lui l’assistant du metteur en scène reste de marbre. La confrontation entre les deux personnages, si différents l’un de l’autre, est un choc. L’assistant est un homme arrogant, d’une toute autre génération. Il ne connaît rien du « théâtre d’hier », une case dans laquelle il range Feuerbach et qui ne mérite pas d’être considérée.

Feuerbach aussi est arrogant, à sa manière : il est convaincu de son talent et de savoir ce qu’est le théâtre. Son égo est mis à l’épreuve puisqu’il doit affronter une nouvelle réalité, celle d’un « nouveau théâtre » auquel il n’appartient pas. Les références et les attentes ne sont plus les mêmes. Désormais les acteurs qui ont de l’avenir, ce sont les chiens. L’assistant semble en effet porter plus d’attention aux allers et venues sur scène d’un chien, qui doit, lui aussi, passer une « audition » pour un rôle. Feuerbach a‑t-il encore sa place au théâtre, lui ?

Dans un message écrit pour la Journée internationale du théâtre en 2013, Tankred Dorst écrit : « Nous ne cessons de nous poser cette question : le théâtre est-il encore en phase avec son époque ? ». La pièce Moi, Feuerbach nous offre une réflexion sur cet art, à la fois sur son avenir et sur l’effet qu’il a sur ceux qui le pratiquent. Lors de la présentation de la pièce au théâtre Prospéro, Gabriel Arcand dit : « je pense que dans ce texte, il y a tout ce que j’ai déjà entendu, tout ce que j’ai déjà vu dire sur le théâtre. Tout est là ; le théâtre comme on le haït, comme on l’aime, comment on voudrait qu’il (ne) soit (pas) pratiqué par les autres. »

C’est le théâtre qui a donné son heure de gloire à Feuerbach, mais qui l’aura également brisé. Au fur et à mesure de la pièce le comédien se dévoile ; derrière le grand acteur d’antan, en apparence sûr de lui, il y a évidemment un homme fragile, qui n’envisage d’autre métier que celui de comédien, mais qui sait aussi au fond de lui que c’est ce métier qui l’a mené à bout.

Malgré tout, il manque quelque chose à la pièce pour qu’on en ressorte totalement comblé. Le texte est parfois dur à suivre, et la mise en scène n’est pas totalement convaincante. À l’image du décor (une scène de théâtre en construction), la pièce peut sembler un peu « désordonnée », et  comme les personnages on a parfois l’impression de se perdre dans les discours. Mais Gabriel Arcand est formidable dans son interprétation de Feuerbach, un rôle qu’il reprend ici après dix-huit ans. C’est lui qui est au centre de la pièce, et qui porte ce texte. Alors pour lui, et pour réfléchir sur le théâtre, il faudra voir la pièce.

 

 


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