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Une politique en danger

Il y a tant à revoir dans la bonne conduite de l’Association Étudiante de l’Université McGill. / Opinion


Pour la première fois depuis plusieurs années, le 13 novembre 2013, le quorum de l’Assemblée générale (AG) extraordinaire de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) était atteint haut la main. Au menu, un vote vital de la part des étudiants pour permettre à Gert’s, le bar universitaire, de rester ouvert. Un autre pour officialiser le Conseil d’administration (Board of Directors, BoD), élément légal incontournable pour ratifier de nombreuses décisions de l’AÉUM, notamment par rapport à son budget.

Il s’en est fallu de peu. Le 11 octobre dernier, lors de l’AG semestrielle obligatoire, seule une cinquantaine de personnes s’étaient présentées dans la salle de bal du bâtiment Shatner, bien trop spacieuse pour l’événement. Aucunes des motions présentées ne pouvaient alors être officialisées, la rencontre devenant automatiquement un forum législatif, sans aucun pouvoir légal. Une AG extraordinaire, mentionnée plus haut, a du être mise en place. Quant à la ratification de la nouvelle constitution, but important pour la présidente de l’AÉUM, Katie Larson, elle fut officialisée lors du référendum semestriel.

Les applaudissements qui ont fusé à l’annonce du quorum ont été bien mérités ; cela faisait longtemps que cent personnes ne s’étaient pas retrouvées pour faire passer des motions nécessaires à la bonne conduite de l’association. Le dernier quorum en date est celui de février 2012 – qui n’avait pas tenu pendant toute l’AG.

 Des étudiants apolitiques ?

Un fatalisme flagrant semble s’être installé chez les membres de l’exécutif, qui considèrent que tout espoir est vain pour motiver les étudiants à participer à la politique du campus. Katie Larson a elle-même admis ne pas avoir fait beaucoup d’efforts pour rendre visible la dernière AG, considérant que c’était une « perte de temps ». Josh Redel, ancien président de l’AÉUM (2012–2013), constatait à l’AG d’Automne 2013 avec tristesse que « quoi que l’on fasse, les étudiants ne sont pas intéressés ». Contrairement à sa successeure, il avait investi beaucoup de temps et de moyens dans la promotion de l’AG du semestre d’hiver 2013. Le quorum n’avait pas été atteint.

Alors que la politique universitaire semble vouée à l’échec et dénuée de toute pertinence, deux questions doivent être impérativement posées. Les étudiants en premier cycle de l’Université McGill sont-ils effectivement apathiques ? Ensuite, quelles mesures peuvent être prises dans le court terme pour remédier à ce grand manque de participation ?

Jacob Greenspon, vice-président aux affaires académiques de l’Association Étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) de McGill, admet, en entrevue avec Le Délit que « les étudiants ne considèrent pas que les associations étudiantes peuvent répondre à leurs besoins ». Il constate que beaucoup d’entre eux sont prêts à apporter des changements au campus, mais n’ont pas le réflexe de se tourner vers leur association facultaire, ou plus largement vers l’AÉUM. Une opinion que ne partage pas Brian Farnan, vice-président aux affaires internes de l’AÉUM. Pour lui, « la neutralité est un choix politique ». Il n’est donc pas question d’apathie, mais plutôt de décision rationnelle de la part des étudiants de ne pas participer. Pour ensuite se contredire, clamant que le manque d’intérêt n’est qu’une preuve de la peur que certains étudiants peuvent avoir devant une structure institutionnelle si grande, impossible à comprendre au premier abord.

Tous les deux n’ont pas tort. Le modèle organisationnel de l’association, que ce soit lors de décisions internes, ou lors de décisions incluant l’administration de l’université, est un véritable cauchemar en termes d’administration. Peu sont capables de comprendre le déroulement exact de l’adoption des motions, qu’elles soient présentées lors d’une AG ou lors du conseil législatif bi-mensuel de l’AÉUM. Katie Larson elle-même s’est vue plusieurs fois corrigée par la Présidente de l’assemblée lors de l’AG d’automne.

Qu’il faille un minimum de complexité administrative, cela se comprend : l’AÉUM ne pourrait se permettre d’accepter toutes les requêtes de tous les étudiants, une limite institutionnelle se fait donc nécessaire. Mais le nombre insensé de différentes instances pour mettre en marche une motion particulière (surtout lorsque l’administration de McGill a aussi son mot à dire, comme pour la création d’un nouveau programme d’études) peut en effrayer beaucoup, et ce pour le reste de leur temps à McGill. Brian Farnan a vu juste ; et cela doit changer.

L’art de savoir d’adapter

Cela peut-il changer ? Au niveau constitutionnel, cela demanderait du temps (parce qu’une ratification massive s’ensuivrait) et de la patience de la part de l’équipe exécutive, mais la machine peut s’émanciper. Ce qui semble manquer en revanche, c’est bien la motivation de l’équipe en question, qui semble aujourd’hui proche de zéro. La Présidente apparaît comme absente de la politique du campus ; ce n’est que lors des conseils législatifs et des AG que la population étudiante a l’honneur de voir ses traits. Énorme contraste avec Josh Redel, son prédécesseur, qui organisait régulièrement des rencontres avec les étudiants pour améliorer l’espace qui est le leur dans l’enceinte de l’université. Rien, de la part de Larson, n’est mis en avant : aucune des décisions n’est présentée au public, l’usage des réseaux sociaux est tout simplement inexistant. Et Jacob Greenspon d’admettre qu’une « concentration sur les réseaux sociaux est aujourd’hui nécessaire ». Katie Larson, qui avait indiqué au Délit qu’elle répondrait à nos questions par courriel, n’a jamais ni répondu, ni accusé réception de nos relances.

Qui plus est, c’est toute la construction légale (logique) de l’AÉUM qui doit être remise en question. Comme le proposait l’article du Délit « Petite crise du système » (voir vol.103, num. 9), il faudrait peut-être que les candidats à la présidence se présentent avec leur propre équipe de vice-présidents, pour éviter le manque de communication, mais aussi les différences d’idéologie au sein de l’exécutif, qui semble être en ce moment plutôt hétérogène. « En d’autres termes, citait l’article, il s’agit [d’éviter] de voter pour un président national, puis pour ses ministres. »

En février 2011, Augustin Chabrol rapportait pour Le Délit qu’une motion avait été présentée pour abolir l’existence de l’AG. L’idée, si elle a été refusée, n’est pas dénuée de sens. N’y aurait-il pas de meilleures manières, peut-être de façon moins procédurale, d’entendre les requêtes des étudiants ? C’est ce qu’estime le président de l’AÉFA Justin Fletcher, qui explique au Délit que l’AG de l’AÉFA n’aura lieu qu’à la demande des étudiants eux-mêmes. De quelle manière se déroulera donc l’AG ? Cela n’est pas clair. Une source proche du Délit affirme de plus que l’AG aura tout de même lieu.

Si la décision semble radicale, il est tout de même plus que nécessaire de revoir la façon dont toute l’association est aujourd’hui construite ; elle doit surtout s’adapter aux étudiants, et non pas l’inverse. Il serait d’ailleurs sage d’aller chercher des idées chez ses derniers. Mais, nous dit-on, c’est « une perte de temps ».


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