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Un papa, une maman… vraiment ?

Depuis plusieurs semaines, un article au titre énigmatique figure dans la rubrique « myNews » du portail étudiant myCourses. Intitulé « Les pères : quelle importance ont-ils ? », ce communiqué de presse rapporte les résultats d’une étude publiée en décembre 2013 par l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) et qui conclut essentiellement que l’absence du père a un impact désastreux dans le développement psychoaffectif de la souris californienne.

Si cette conclusion scientifique n’est pas problématique en soi, il est décevant de constater l’ardeur avec laquelle l’IR-CUSM cherche à extrapoler ces résultats à l’être humain. Aussi, une lecture détaillée du communiqué de presse publié sur le fil d’actualité de McGill permet de relever un certain manque de sensibilité à l’égard, entre autres, de la réalité des familles homoparentales et des mères monoparentales.

Des souris et des hommes

Dans le communiqué de presse, la Dre. Gabriella Gobbi, professeure agrégée à la Faculté de médecine de l’Université McGill, insiste en effet pour souligner que cette étude du comportement de souris monogames est d’une « extrême pertinence pour les humains » puisque, selon les chercheurs, les souris californiennes et les êtres humains partagent d’importantes caractéristiques comme par exemple une répartition relativement égalitaire des tâches lors de l’élevage de leur progéniture.

Du même souffle, la Dre. Gobbi invite à tirer des conclusions quant à l’absolue nécessité du père pour un développement optimal de l’enfant : « Ces résultats devraient inciter les chercheurs à se pencher plus en profondeur sur le rôle des pères pendant des étapes cruciales de la croissance et à chercher à faire comprendre que les deux parents sont importants pour le développement de la santé mentale de l’enfant ».

Il s’avère malheureusement qu’en adoptant un langage qui exclut d’office les familles constituées de deux femmes et de mères seules, l’étude peut sembler suggérer la supériorité objective et scientifique d’un couple hétérosexuel par rapport à un couple homosexuel ou à une mère monoparentale pour le bien-être d’un enfant. S’il ne s’agissait vraisemblablement pas de l’intention des chercheurs, un plus grand égard à la question de leur part aurait pu éviter bien des haussements de sourcils.

Il est important de considérer le fait que l’espèce animale qui fait l’objet de cette étude, bien qu’effectivement monogame, a la particularité fort impropre à l’être humain de demeurer essentiellement passive par rapport à ses petits lors de la perte de son partenaire. Ainsi, elle ne cherche pas à compenser l’absence de celui-ci dans son interaction avec son enfant. L’être humain, pour sa part, dispose bien évidemment d’une capacité d’adaptation sociale infiniment supérieure à celle de la souris. Il peut donc être attendu d’une mère nouvellement monoparentale qu’elle réagisse instinctivement de manière à compenser l’impact de l’absence du père sur son enfant.

Dans le cas d’une famille homoparentale où les rôles parentaux sont occupés par deux femmes, la question ne se pose même pas puisque l’effort simultané des deux parents procure logiquement la même quantité d’attention et d’affection à l’enfant que dans une famille constituée d’un homme et d’une femme. Pourquoi, alors, insister sur cette notion du « père » et de la « mère », alors même qu’un nombre toujours croissant d’individus choisit de s’éloigner d’un modèle familial traditionnel articulé autour d’une dualité homme-femme qui ne leur convient pas ?

Un problème de langage

Évidemment, il ne s’agit pas ici d’affirmer que la présence d’un père auprès d’un enfant est superflue. Il s’agit plutôt de souligner que le fait de fonder une étude scientifique sérieuse sur une conception genrée du rôle du père et de la mère contribue à alimenter le discours de ceux qui envisagent de nier aux familles non-traditionnelles le droit d’élever des enfants.

Si cette étude porte dans les faits sur l’importance de fournir à un enfant une quantité adéquate d’attention et d’affection, et non sur une quelconque complémentarité du rôle genré du père et de la mère dans le développement de l’enfant, le langage utilisé par l’IR-CUSM pour en faire la promotion semble au contraire établir un jugement normatif quant à l’absolue nécessité d’un « père » dans la vie d’un enfant.

Or, cette tentative d’isoler l’impact cognitif de l’absence d’un « père » ou d’une « mère » ne fait que perpétuer une vision différenciée du rôle de l’homme et de la femme dans l’éducation de l’enfant qui relève elle-même d’une construction sociale de la « féminité » et de la « masculinité ».

Malheureusement, ce genre de fausses conclusions scientifiques recèle le triste potentiel de servir la cause de ceux qui souhaitent nier aux familles homoparentales le droit d’élever des enfants, comme il a été possible de le constater lors des manifestations contre l’adoption pour les couples homosexuels qui ont remué la France pendant une bonne partie de l’année dernière. Les partisans de la famille traditionnelle n’hésitaient pas, alors, à brandir ce type d’études pour confirmer l’idée selon laquelle les enfants qui ne sont pas élevés au sein d’une famille nucléaire hétéroparentale sont essentiellement « endommagés ».

S’il est important de considérer toutes les conclusions scientifiques et de les évaluer selon la méthode et l’éthique des chercheurs qui les ont engendrées, il importe également que ceux-ci fassent preuve d’une plus grande sensibilité par rapport au langage qu’ils utilisent pour présenter leurs conclusions. Spécialement lorsque ces résultats risquent à l’évidence d’être utilisés pour nier à des individus des droits fondamentaux qui leur sont acquis.


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