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Duos formalistes

Retour sur deux formations.

Les pièces détachées

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  L’intrigue est simple : Laura, post-adolescente à tignasse, renoue avec son père, à certains égards un adolescent attardé. Les voilà qui partagent rêves et préoccupations en    demi-tons, le tout, à travers les sentiments de Laura et ses déambulations dans Montréal.

Si l’histoire avance lentement –doucement–, sa construction a également été une course de fond. En effet, c’est en 2010 que David Turgeon (Minerve (2006), La muse    récursive (2012)) et Vincent Giard (un des cofondateurs de La Mauvaise tête) ont commencé à imaginer l’histoire de Laura. Les pièces détachées, publié cette année à la    Mauvaise tête, reprend quatre fascicules précédemment parus aux microéditions Colosse, dont les deux premiers avaient été salués par le prix Bédélys indépendant de 2011.

Il est vrai que le rendu des atmosphères est habile, celles du dehors comme celles du dedans. Les auteurs ont su capter à la fois les vagues à l’âme et les petites découvertes des années cégep et l’hiver montréalais : la sloche vous salope presque les bas de pantalons à travers les planches et on imagine facilement le rouge qui vient aux joues. La ligne est animée, claire et brouillonne à la fois. Turgeon joue avec l’espace, alterne : ici, presque six fois la même vignette, épurée, saccadée, comme le dialogue, syncopé et crédible, là, quatre images de la ville remplissant deux pages de leur montréalitude.

La couverture saisit bien l’atmosphère de l’histoire : on y voit Laura, soufflant la fumée des nuits d’hiver, animée d’un pas preste, qui s’en va, s’enfuit presque, « dans le mauvais sens » en regardant de l’autre. Car voilà, qu’on ne cherche pas l’intrigue, le mordant ou l’explosion à travers Les pièces détachées, il n’y en a pas vraiment. C’est, au mieux, une illustration de cette étrange maladie de la post-adolescence, qui oscille entre le surplace et la frénésie. Vincent Giard et David Turgeon, La Mauvaise tête, 2013.

La liste des choses qui existent

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J’aime les objets. J’aime Perec et ses Choses. J’aime le trio Faux-Derome-St-Onge et ses Histoires d’objets. J’aime même le musée Pointe-à-Callière. Nécessairement, j’allais aimer La liste des choses qui existent d’Iris (Iris Boudreau-Jeanneau, Dans mes rellignes (2006), L’ostie d’chat (2011–2012)) et Cathon (Catherine Lamontagne-Drolet, Trois secondes plus vite (2011)). Cheveux blonds, c’est Cathon. Cheveux noirs (enfin, bleus, l’album est publié en bichromie orange-marine), c’est Iris.

Le concept est simple : les deux comparses choisissent un objet –le pyjama, le cabanon, le rasoir– et l’une d’entre elles le « documente ». C’est-à-dire l’illustre, bien sûr, l’analyse, le fouille, oui, mais surtout, le dissèque et le maltraite avec extravagance. À l’érudition loufoque et à la patine historique hasardeuse des dingodossiers, Cathon et Iris ajoutent q

uelques souvenirs bon enfant et une bonne dose d’espièglerie un peu trash. Un exemple : « Les origines du casse-tête sont assez floues. Les Français attribuent l’invention de ce jeu à un prêtre maladroit qui laisse tomber un bébé lors d’un baptême. »

Projet à quatre mains, certes, mais remarquable d’unité. Dans l’humour, la sensibilité et le ton, bien sûr, mais même dans le style, vivant et dégagé. Bien sûr, chacune des auteures a son trait, une ligne plus précise pour Iris, des expressions plus trempées chez Cathon, mais la fluidité entre les historiettes est remarquable. Dans les deux cas, des yeux ronds comme des billes, des bouches ouvertes dans de perpétuelles onomatopées et de succulents échanges. Gaies divagations de cours magistral. Le quotidien saisi par une fantaisie futile et dégourdie. Précis illustré d’un Ouiquipédia à la dérive.

Le dessin un peu mou mais très expressif convient parfaitement à la douce folie qui anime les capsules : de cette rigueur aléatoire et de la pétulance du crayon. Cathon et Iris, La Pastèque, 2013


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