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Déambulations sentimentales

“Sortir de chez soi” avec Gilles Archambault.

Rue McGill, je promène toujours ma tristesse. » L’œuvre poétique Sortir de chez soi par Gilles Archambault peut se résumer par cette courte phrase. Dans les soixante pages entrecoupées de photographies d’Erika Nimis, l’auteur déambule sur la rue McGill ainsi qu’à travers ses ruminations sentimentales. Dans son espace physique comme dans sa vie, il se sent isolé, et malgré la rue bondée de piétons qu’il fréquente pour tenter d’échapper à un appartement qui le rend claustrophobe, il construit ses propres murs.

Subtilement, petit à petit, Archambault entraîne le lecteur avec lui. Le récit commence dans son appartement, déboule sur les rues avoisinantes, pour ensuite faire un tour dans les quartiers nocturnes de son adolescence. Il aboutit enfin sur un bateau de croisière en direction de la ville de Québec. Les rues de Montréal sont pour lui un chemin vers ses souvenirs, chemin sur lequel il s’engage volontiers. Parfois, même, avec un brin de délectation qui frise l’existentialisme frivole. « Ce n’est pas la rue McGill que j’arpente à longueur de journée », explique-t-il, « mais ma vie elle-même […] Je dois bien l’admettre, je ne suis pas fait pour la sérénité ».

L’auteur semble aussi tenir une vision plutôt médiocre de sa ville natale. Au sujet d’un plan pour transformer la rue McGill en « sorte d’avenue des Champs-Élysées », Archambault raconte : « Comme de raison, je m’étais moqué. Mais où donc serait notre Arc de triomphe, notre place de l’Étoile ? »

Les propos que le poète tient sur les femmes valent aussi la peine d’être signalés. Il commente rarement sur les passants de la rue McGill, sauf s’il s’agit d’une femme jeune qu’il trouve séduisante, s’imaginant pouvoir l’approcher et la caresser. Si seulement il avait encore vingt ans… Malheureusement pour lui, il semble vieilli, difficile à satisfaire : « Même dans le plaisir sexuel, dont j’ai eu ma raisonnable part, je ne suis pas sûr d’avoir toujours atteint une qualité d’apaisement équivalente [à l’écriture]», explique Archambault.

Celui-ci trouve son espace favori dans les pages de Camus et de Stendhal. « À dix-huit ans », écrit-il, « ce n’était pas le monde qui m’inspirait, mais l’univers des livres ». Par son langage même, Archambault démontre l’importance qu’a la conception de l’espace dans nos vies. Les livres sont un véritable lieu sentimental où l’auteur peut se réfugier, échapper au sentiment qu’il vient « de nulle part, au fond ».

Les différentes incarnations de la rue McGill représentent alors les différentes incarnations de sa personnalité au fil de sa vie. Psychogéographe amateur, il offre, par le biais de ses propres déambulations sentimentales, une étude de l’influence que l’espace a sur les êtres humains. Le matin, quand les jeunes familles envahissent les pavés, Archambault s’imagine poussant un landau longtemps disparu. À la tombée du jour, quand la rue devient déserte, l’auteur est amené à réfléchir à sa mort imminente. « J’ai beau sortir de chez moi, je ne sors pas de moi », résume-t-il. Malgré ses digressions parfois égocentriques, Sortir de chez soi peint un tableau sinueux mais charmant de notre rapport à l’espace.


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