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Oui chef !

Jacques Tati, le monstre de la vie moderne.

Luce Hyver

Pour, semble t‑il, aucune raison particulière, le Cinéma du Parc organise depuis la fin septembre une rétrospective sur Jacques Tati. Cela peu paraître surprenant vu que Tati, au contraire de Woody Allen –qui a fait l’objet de la dernière rétrospective au Cinéma du Parc- nous a laissé une filmographie faible sur le plan quantitatif : six longs-métrages en tout et pour tout.

Toujours est-il qu’il passe deux films de Tati au Cinéma du Parc tous les jours pendant un mois, ce qui veut dire que l’on peut voir Les Vacances de Monsieur Hulot quinze fois, si l’envie nous prend.

Les Vacances ne sont pas l’objet de cet article, mais on y consacre un autre film culte de Jacques Tati, Mon Oncle, Prix spécial du Jury à Cannes et Oscar du Meilleur Film Étranger en 1958–59.

Jacques Tati y incarne le personnage éponyme, et son personnage fétiche, M. Hulot. Flâneur à ses heures, toutes perdues puisqu’il est sans-emploi, il s’occupe souvent de son neveu, le petit Gérard. Il l’incite à toutes les déviances de la jeunesse, au plus grand désespoir de ses parents, des bourgeois nouveaux riches habitant une somptueuse maison truffées de gagdets et d’électronique en tout genre.

À travers l’œil candide d’Hulot, Tati donne à voir le mode de vie bourgeois des Trente Glorieuses, le monde du paraître dont Rousseau faisait déjà la critique, où la consommation ostentatoire fait loi. L’univers de Mon Oncle est édifiant, montre ce que le quotidien rend indicible. Happé par nos occupations, nous laissons passer l’essentiel, la trajectoire de la civilisation. À travers le seul regard de Monsieur Hulot, sans jugement, Tati nous met devant les yeux certaines réalités. Il pose la question des relations humaines à l’heure des relations d’affaires, l’impact du commerce et des réalités économiques et financières sur la communication.

La critique de la bourgeoisie est centrée autour du personnage de Monsieur Arpel, le père de Gérard et le patron de l’entreprise locale. Métaphore des nouvelles techniques de travail développées au cours du XXe siècle, son entreprise symbolise l’individualisme des hommes, notamment dans l’univers du travail, où seule la moquerie de l’ordre – ou du désordre – crée du lien social. Ce personnage capitaliste est très ancré dans les nécessités économiques et dans la société hiérarchisée. Il ne peut tout de même pas recommander son beau-frère Monsieur Hulot au président-directeur général.

La réponse de Tati à cette mentalité est simple. Elle ne se situe pas dans la critique directe mais dans l’observation subtile et le désintéressement envers ces impératifs. Son personnage traîne dans le village de Saint-Maur-des-Fossés, sur la place du marché, pleine de vie, où les liens commerçants sont encore vecteurs de lien social. Il y est respecté pour ce qu’il est, et n’est pas le produit d’une société industrielle où tout se négocie et se marchande.

Cela étant dit, nous pouvons, nous, jouir de notre société matérialiste en allant voir, pour huit dollars et des poussières (tarif étudiant) les deux films les plus connus de Jacques Tati, Les Vacances de Monsieur Hulot et Mon Oncle, et ce jusqu’à jeudi !


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