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Grand Bond en Avant dans les classements

La Chine est en passe de bousculer l’ordre universitaire mondial.

Pour beaucoup, la Chine est une terre de fantasmes, un eldorado : sa croissance économique impressionne, son histoire et sa culture également. Pour preuve, les instituts culturels  chinois Confucius, qui promeuvent la langue et la culture chinoises, sont de plus en plus nombreux dans le monde,  ce qui démontre une volonté expansionniste de l’Empire du milieu, mais répond également  à une demande croissante de cours de langue. Selon l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), il y a aujourd’hui plus de 360 de ces instituts, alors qu’ils n’ont été créés qu’en 2004. De plus en plus de personnes veulent donc comprendre cette culture, et pour cela beaucoup d’étudiants n’hésitent pas à passer un an ou une session dans une université chinoise.

 

Un système encadré

Le monde étudiant chinois est bien différent du monde nord-américain, dans sa structure comme dans son contenu.Ainsi, Juan Wang, professeure de sciences politiques à McGill, spécialiste de la Chine, son pays d’origine, explique au Délit que les classes sont organisées différemment : il y a une hiérarchie au sein des élèves, avec une « tête de la classe » chargée de l’organisation et de la collecte des devoirs. Il s’agit généralement de l’élève le plus brillant de la classe.Mais, selon Juan Wang, ce n’est pas la seule différence. La Chine étant dirigée par un régime autoritaire, le contenu des cours est parfois « encadré » : il n’y a pas de censure à proprement parler, mais les professeurs de sciences sociales et humaines savent qu’il existe des limites à ne pas franchir. Par exemple, un cours intitulé : « Peut-il y avoir une démocratie en Chine ? », ou bien un autre sur l’autonomie du Tibet sont hautement improbables, car  ils contredisent les dogmes étatiques. Les cours de sciences politiques ne sont ainsi pas aussi populaires en Chine qu’au Canada, car pour beaucoup d’étudiants, la politique se limite à la doctrine communiste, et la critiquer n’est pas admis dans les universités. La présence du régime se ressent aussi en dehors des cours : il n’y a pas de groupes étudiants en rapport avec la religion ou la politique (au sens militant du terme) sur les campus de l’Université Fudan à Shangai, ou de l’Université de Pékin, contrairement à beaucoup d’universités occidentales, comme McGill.

À l’assaut des classements

Si les cours proposés par les professeurs ne doivent pas franchir certaines barrières, ils ne sont pas non plus construits comme en Amérique du Nord. En effet, la méthode occidentale (surtout américaine) fait passer la théorie d’abord, tandis que les universitaires chinois sont partisans de l’empirisme, la théorie ne pouvant naître que d’un travail sur le terrain. Cependant, ce mode d’enseignement change, car les universités chinoises doivent modifier la façon de penser de leurs professeurs afin de pouvoir intégrer les classements mondiaux. Cela passe par des publications dans des revues américaines et anglaises, qui sont basées sur le modèle de pensée américain. Ainsi, depuis 2003, l’Université Fudan, la meilleure université chinoise, a gagné plus de 150 places dans le classement de Shanghai et l’Université de Pékin 100 places.

 

Un système compétitif

Au-delà du fonctionnement, les modes de recrutement des universités chinoises sont également différents : là où chacun a plus ou moins sa chance au Canada, la Chine a mis en place un système extrêmement compétitif. Pour entrer dans les universités, les étudiants chinois doivent en effet passer un test, le gaokao. En 2009, le taux d’admission à l’université à la suite de celui-ci était de 57%. Ce test accroît les disparités régionales car les universités situées dans les zones urbaines privilégient les étudiants enregistrés dans leur zone et imposent des critères de sélection encore plus drastiques à ceux venant des zones rurales, ou d’autres parties du pays. Un rapport de l’ambassade de France en Chine explique que « le système éducatif chinois est donc marqué par une grande hétérogénéité des pratiques, notamment du fait d’un système décentralisé ». Par exemple, le calcul de la note au gaokao est élaboré au niveau provincial, ce qui désavantage certains étudiants.

Mais les inégalités sont aussi d’ordre économique : pour préparer le gaokao, ainsi que leurs cours, les étudiants chinois les plus fortunés font appels à des tuteurs. Cette pratique est très populaire dans les classes sociales aisées, dès la fin de l’école élémentaire. Ainsi, les moyens financiers d’une famille sont déterminants pour la réussite scolaire de leurs enfants. Cependant – peut-être parce que ce sont, en général, les étudiants plus aisés qui y accèdent – au  sein des universités, les inégalités économiques entre les élèves ne sont pas nécessairement plus marquées qu’en Amérique du Nord, et le groupe d’étudiants est plus homogène.

 

 Un marché de l’emploi inadéquat 

Les étudiants chinois sont peu nombreux à aller étudier à l’étranger : d’après le Bureau Canadien de l’Éducation Internationale, 80 627 étudiants sont venus de Chine pour étudier au Canada en 2012, et 194 029 sont venus aux Etats-Unis, d’après l’Institut de l’Éducation Internationale. Cela est bien peu en comparaison aux 23,913 millions d’étudiants aux cycles supérieurs chinois. De même, la professeure  Juan Wang raconte au  Délit que peu de professeurs chinois partent à l’étranger (où, quand ils partent, ils enseignent majoritairement le chinois),  car ils sont relativement bien payés en Chine (trois fois le salaire minimum, d’après une recherche russo-américaine disponible sur le site acarem​.hse​.ru).Mais si les étudiants ne partent pas en majorité à l’étranger, cela pourrait changer car les débouchés sont de plus en plus limités sur le marché du travail en Chine. D’après l’Organisation des Nations Unies (ONU),  même si le taux de chômage des jeunes n’était que de 9,4% en 2011 il faut relativiser. En effet ce chiffre masque la réalité, dans laquelle les emplois proposés ne sont pas en rapport avec les compétences et les études des jeunes. La professeure Juan Wang prend l’exemple d’un jeune ayant étudié la littérature anglaise, mais qui se verra proposer pour seul poste celui d’agent immobiliers pour expatriés, car il maîtrise la langue de Shakespeare. Ainsi, il y a aujourd’hui cinq fois plus de diplômés qu’il y a 20 ans en Chine (d’après edu​.cn), mais les débouchés proposés ne sont pas toujours adéquats.

 

Une source de fascination à l’étranger

Inversement, la Chine attire de plus en plus d’étudiants à travers le monde. En 2011, le nombre de ces étudiants a augmenté de 10% (selon le site en​.csc​.edu​.cn) dépassant ainsi la barre des 290 000.  Cette même année, 11,05% de ces étudiants venaient du continent américain, soit 32 333 étudiants, dont 23 292 des États-Unis seulement. Cela place le pays en deuxième position au classement des pays ayant la plus grosse contribution d’étudiants internationaux en Chine.Cela tend à prouver que le système universitaire chinois reste attrayant pour des étudiants  venant d’un système nord-américain où les méthodes d’enseignement varient considérablement. L’approche méthodique quelque peu « nouvelle » des prestigieuses universités chinoises ne semble pas affecter ces étudiants qui partent avant tout pour découvrir la culture et surtout la langue de cette puissance mondiale, acquérir de l’expérience à l’international ou même pour se préparer à une carrière dans un pays qui récompense généreusement les « cerveaux » étrangers. Il est vrai qu’aujourd’hui, maîtriser le mandarin devient un atout majeur. Passer une session en échange en Chine, voire une année entière, permet des avancées considérables dans l’apprentissage d’une langue qui n’est autrement pas facile à manier pour des occidentaux. Les grandes universités chinoises offrent à ces étudiants un programme intensif d’apprentissage du chinois. Une fois la barrière de la langue passée, l’intégration se fera bien plus facilement car c’est aussi le fait de s’immerger avec succès dans une culture aussi différente qui va se montrer rémunérateur. Cela démontre aussi une grande capacité à s’adapter qui se remarquera facilement sur un CV.

 

Une expérience enrichissante

Aline Ducoulombier, étudiante en troisième année à la Faculté de Gestion Desautels à McGill, est partie faire un semestre d’échange à l’Université Jiaotong de Shanghai, une des très prestigieuses universités chinoises, de février à juin 2013. Pendant ses quatre mois d’échange, elle a suivi des cours de marketing international, de finance, de théorie des organisations, de commerce international et de mandarin. Concernant les cours, Aline a pu remarquer quelques différences avec ceux de la Faculté Desautels. Selon elle, les cours s’attardent beaucoup moins sur l’analyse que ce à quoi McGill l’a habitué. De même, elle a remarqué que les professeurs étaient moins exigeants dans le niveau de justification à apporter dans une réponse. Aline dit également avoir été étonnée de voir que peu de ses camarades de classes chinois étaient prêts à intervenir en cours ; cela montre que le système universitaire chinois est beaucoup moins inscrit dans une culture de débat, de partage de ses opinions. Pour Aline, qui avait déjà fait deux séjours en Chine auparavant afin de pratiquer son mandarin, cet échange était avant tout un moyen non seulement de continuer la pratique mais aussi de « s’immerger dans un monde qui n’est pas le [sien]», de vivre avec des étudiants chinois avec qui elle ne partage que très peu de choses au premier abord.

Beaucoup d’étudiants en échange en Chine, comme Aline, ne viennent pas forcément pour la qualité des cours mais surtout pour vivre cette expérience d’immersion, qui permet d’obtenir une idée informée sur ce que signifie être étudiant dans une autre partie du monde. Dans sa propre expérience, Aline Ducoulombier a cherché à côtoyer des étudiants chinois pour vivre au mieux ces quatre mois, mais elle avoue avoir trouvé ses camarades de classe chinois peu enclin à tisser des liens avec des étudiants étrangers. Selon Aline, si on veut fréquenter des étudiants chinois il faut être prêt à se couper du monde occidental, chose qui n’est pas facile à faire lorsqu’on se rend pour quatre mois dans un pays dont la culture ne nous est pas familière. De plus, Aline trouve que c’est surtout en échangeant dans leur langue avec ses camarades chinois qu’elle a pu se rapprocher d’eux, donc celle-ci n’est pas une entrave au rapprochement.

 

Une qualité de vie à moindre coût

C’est aussi le coût de la vie en Chine qui demeure très intéressant pour un étudiant étranger. Aline décrirait la vie étudiante qu’elle a menée à Shanghai comme étant similaire à celle qu’elle avait à Montréal ; c’est-à-dire qu’il y avait tout autant à faire, mais à moindre coût. Par exemple, dans une ville comme Pékin (la plus chère de Chine), le prix d’un repas au restaurant coûte en moyenne 5$CAD, contre 12$CAD à Montréal ; une bouteille de 0,5l de bière (produite localement) coûte 0,67$CAD contre 3.25$CAD à Montréal (selon le site numbeo​.com). Quant aux fumeurs, ils voient leur budget se réduire considérablement en ne payant pour leur paquet de cigarette plus que 2,53$CAD, en moyenne, au lieu de 9$CAD au Québec. Le prix des transports est lui aussi incroyablement accessible avec 0,35$CAD pour un aller en bus ou en métro, et tout autant pour parcourir un kilomètre en taxi, sachant qu’on en trouve un à tous les coins de rue, à n’importe quelle heure. Un logement 3 ½  tout à fait correct coûte, en moyenne, 500$CAD par mois. Quant à Aline, elle a payé 1000$CAD pour une location de 4 mois d’une chambre dans une résidence pour étudiants étrangers, soit l’équivalent d’un mois de location pour une chambre d’une des résidences de McGill.

Ainsi,  en modifiant ses critères pour être compétitif sur le marché international du travail, la Chine a pu grimper dans les classements universitaires mondiaux, pour se positionner aujourd’hui comme un concurrent sérieux au modèle éducatif anglo-saxon.


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