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Zone intemporelle

Marcel Dubé présente Zone au Théâtre Denise-Pelletier.

Sylvain Sabatié

« Plus ça change, plus c’est pareil ». Ce dicton galvaudé illustre parfaitement la mise en scène de Zone par Jean Stéphane Roy. Le Théâtre Denise-Pelletier, qui fête cette année ses cinquante ans, inaugure sa nouvelle saison avec cette pièce de Marcel Dubé, déjà montée cinq fois au Denise-Pelletier depuis sa création ; le tout sans qu’on puisse y  percevoir la moindre ride.

L’histoire de cette bande de cinq hors-la-loi de 16 à 21 ans, travailleurs de jour et contrebandiers de cigarettes le soir, est revue de façon tout à fait actuelle par Jean Stéphane Roy. La mise en scène place le texte du grand dramaturge montréalais dans un contexte éminemment contemporain, notamment en ce qui concerne le décor. En effet, le vieux hangar traditionnel est transformé en pont métallique, pensé sur le modèle du pont de Brooklyn. « J’ai eu l’idée de placer mes personnages sous un pont, là où l’on retrouve des gangs de rue et des sans-abri », raconte le metteur en scène.

Ainsi, la scénographie place Zone dans un décor urbain auquel le spectateur contemporain peut facilement s’identifier. Il en est de même pour les costumes ; tous dans des tons plutôt sombres, ils pourraient être facilement revêtus par des adolescents d’aujourd’hui.

Cet aspect chargé peut faire référence à la période de grande noirceur politique et économique traversée par le Québec au moment de la création de la pièce dans les années cinquante. En effet, le peu d’éclairage et les couleurs lugubres du décor et des costumes viennent symboliser « les espoirs déchus » des personnages, selon les dires de Louise Bourbonnais, collaboratrice spéciale au Journal de Montréal. La musique, quant à elle, est peu présente, utilisée seulement pour marquer la transition entre deux actes. Si cette musique s’insère dans le caractère contemporain de la mise en scène, elle casse toutefois l’atmosphère de la pièce et détonne avec sa sonorité héroïque et retentissante.

Un élément de la mise en scène frappe d’emblée le spectateur attaché au « traditionalisme » de la pièce : le manque de dynamisme. Les personnages sont presque tout le temps assis sur des chaises au milieu de la scène ou sur la structure métallique. Ils auraient pu jouer debout pour dynamiser davantage l’action. Le détective, sur une chaise en arrière-scène côté jardin, aurait pu également faire preuve de plus de mobilité. Car bien que caché dans l’ombre, donc n’attirant pas l’attention, il peut à la longue détourner de l’action principale le regard du spectateur.

Les personnages sont incarnés de façon très juste, conformément aux descriptions faites par Maximilien Laroche dans les notes préliminaires de l’édition de 1968 de Zone (Éditions Leméac, collection « Théâtre Canadien »). Le détective tranche néanmoins avec le reste des comédiens, par son attitude qui rappelle celle d’un personnage de film hollywoodien qui frôle parfois la caricature. Le personnage de Moineau, joué comme un handicapé intellectuel dans la mise en scène de Roy, est aussi en décalage avec les autres, mais vient ajouter un côté mélodramatique à la pièce avec ses mimiques et son harmonica dont il joue dans les situations les plus tragiques, notamment lors de la mort de Tarzan. Les duos d’amour entre Tarzan et Ciboulette sont forts en intensité émotive, ce qui prouve très bien les dires du metteur en scène : « C’est principalement la force émotive que l’on retrouve dans cette pièce qui séduira le spectateur ».

Et on ne peut s’empêcher d’être séduit par ces jeunes qui nous font penser, par leur ténacité et leur naïveté, à notre propre adolescence. Soixante ans plus tard, c’est la même zone.


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